Langues officielles

No, it's not « okay »

Pourquoi le Comité de la justice et des droits de la personne a-t-il accepté des documents écrits uniquement en anglais lors du témoignage du greffier du Conseil privé, Michael Wernick ?

Le 6 mars dernier, les yeux des Canadiens étaient rivés sur la diffusion de la comparution du greffier du Conseil privé et secrétaire du cabinet, Michael Wernick, au sujet de l’affaire SNC-Lavalin. Cela nous a permis d’assister, pour la énième fois, à un traitement inégal du statut des deux langues officielles du Canada.

Afin de respecter le droit de chacun d’employer l’une ou l’autre langue dans les débats et travaux du Parlement, toute documentation déposée par un témoin doit être traduite par les comités et distribuée à leurs membres. Les institutions fédérales, elles, sont obligées de présenter leur documentation dans les deux langues officielles.

Cependant, le jour de sa comparution tant attendue devant le comité de la justice et des droits de la personne, le greffier du Conseil privé fournissait une partie de sa documentation uniquement en anglais. Le président du comité demande alors à ses collègues d’accepter, par consentement unanime, que la documentation leur soit partagée quand même :

« Nous avons reçu… ce que Mr. Wernick nous avait promis de faire la dernière fois, il a fourni des notes et des correspondances ; il avait convenu de les fournir au Comité lors de la dernière réunion. Certains documents sont bilingues, d’autres sont seulement en anglais. Est-ce que le Comité est d’accord pour que je distribue ces documents même s’ils n’ont pas tous été traduits ? Vous êtes d’accord  ? »

Une unanimité discutable…

Louis Plamondon, député bloquiste de la circonscription de Bécancour-Nicolet-Saurel, s’est dit avec raison «  très déçu qu’on ne respecte pas l’une des deux langues officielles  ». Il ne pouvait toutefois pas s’opposer à la dérogation, n’étant pas membre d’un parti reconnu.

Luc Berthold, député conservateur de la circonscription de Mégantic-L’Érable, a quant à lui souligné que c’était la deuxième fois que le Comité de la justice dérogeait à la règle exigeant la distribution de documentation dans les deux langues officielles. Il a sonné l’alarme quant à la normalisation de cette pratique qui traite les deux langues de façon inégale.

Même le député libéral de West Nova (coin rural de la Nouvelle-Écosse), Colin Fraser, s’exprimant en français, s’est dit inquiet, rappelant l’importance du bilinguisme parlementaire.

Le comité aurait dû suspendre ses activités pendant quelques heures afin de permettre au Bureau de la traduction de terminer son travail. Les Canadiens auraient attendu. Malgré ces cris du cœur, le président du comité a encouragé ses collègues à procéder sans tarder, avec la documentation en anglais, «  if that’s okay  » :

« Quand on reçoit des documents, c’est notre responsabilité, comme comité, de les traduire… et on va les distribuer après. Il y a des fois, comme aujourd’hui, où on veut que les membres aient en mains les documents... Donc M. Plamondon, je comprends votre inquiétude, je suis tout à fait d’accord. Néanmoins, je crois que c’est important qu’aujourd’hui, avant d’écouter les témoins, que tout le monde ait tout ce que nous avons entre les mains. So if that’s okay, we will now distribute this Mr. Clerk, and we will move to Mr. Wernick’s testimony. »

En pratique, les deux langues officielles du pays ne sont pas égales. Nous en avons tous été témoins mardi dernier.

L’ironie est que la veille, le 5 mars, la Fédération des communautés francophones et acadienne dévoilait une proposition étoffée d’une nouvelle Loi sur les langues officielles. L’organisme soulignait que les langues officielles sont attaquées dans certaines régions du Canada et que sa proposition réaffirmerait l’importance fondamentale de la dualité linguistique. En vertu de cette Loi sur les langues officielles modernisée, le Conseil du Trésor serait responsable de superviser les affaires et les activités du Bureau de la traduction afin d’en assurer le bon fonctionnement. Sous le régime de cette loi, il ne serait plus «  okay  » que des documents soient distribués aux membres des comités parlementaires en anglais seulement… certainement pas ceux du greffier du Conseil privé et du secrétaire du cabinet.

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