« On retourne 20, 30 ans en arrière »

Tennis Canada doit repenser une partie de son programme alors qu’il essuiera des pertes de 17 millions cette année en raison de la pandémie

La COVID-19 a frappé fort chez Tennis Canada, en avril, alors qu’on a dû licencier des dizaines d’employés. Six mois plus tard, l’organisation s’affaire à éviter que la pandémie ne fasse une autre victime collatérale : la relève.

L’impact de l’annulation de la Coupe Rogers est brutal pour les finances de Tennis Canada. Eugène Lapierre, vice-président de l’organisation et directeur du volet montréalais du tournoi, l’a déjà dit, elle représente 90 % des revenus de Tennis Canada.

« Si je vous disais qu’en 2020, vous alliez faire 10 % de votre salaire, vous répondriez : “Oups, il y a un problème, là !” », illustre M. Lapierre.

Comme le ferait toute entreprise ou tout individu dans cette situation, Tennis Canada a donc pris des mesures financières draconiennes. En plus de la réduction de 40 % du personnel, environ 60 % des programmes de développement du sport sont passés à la trappe, indique M. Lapierre.

Or, la raison d’être de Tennis Canada, c’est le développement. « On n’est pas la course automobile ou le Canadien. On est le seul grand évènement sportif qui a une autre mission que la présentation du spectacle. Oui, on a un gros party [la Coupe Rogers] et on s’amuse. Mais la raison première, c’est les 51 autres semaines », rappelle-t-il.

Ces 51 autres semaines sont donc désormais gérées dans des conditions financières bien différentes de celles des années précédentes, c’est le moins que l’on puisse dire. Avec les soucis, voire les dangers, que cela peut impliquer pour la mission de Tennis Canada.

« On retourne, je ne sais pas, 20, 30 ans en arrière dans le développement de notre sport, lance M. Lapierre. Ce qu’on sera capables d’investir dans les prochaines années, ça n’a aucune commune mesure avec ce qu’on avait maintenant. »

L’organisation dépensait 16 millions par an dans le développement. Puisque le butin vient de fondre comme neige au soleil, Tennis Canada doit prendre les bonnes décisions pour ne pas laisser passer d’espoirs entre les mailles du filet.

« On a des choix à faire dans les fonds qu’on va investir dans les prochaines années. Il y a plein de programmes qu’on doit laisser de côté. Alors, qu’est-ce qu’on choisit ? »

— Eugène Lapierre

C’est inévitable, il y aura des impacts. Mais le VP de Tennis Canada se fait rassurant. Son organisation tentera de les atténuer le plus possible.

« On fait beaucoup d’efforts pour développer des jeunes dans ce qu’on appelle communément le pipeline. On veut continuer, c’est certain, mais le reste, tout le système de compétitions, le développement des entraîneurs, et tout ça, on doit marcher à 40, 50 % de ce qu’on faisait auparavant. Donc, on veut juste ne pas être dans une situation où on va sacrifier une génération au complet.

« Si on saute deux, trois, quatre ans d’investissements dans certains aspects, peut-être qu’un jeune qui avait du talent à 12 ans, c’est dommage, mais il aura raté son coup. On ne voudrait pas ça et on va s’organiser en conséquence. »

Le tennis profite de l’ascension des Eugenie Bouchard, Félix Auger-Aliassime et Leylah Annie Fernandez, dont la réussite a sans doute attiré nombre de jeunes athlètes. Et le directeur du tournoi du stade IGA tient à ce que ce mouvement perdure.

« Quand les jeunes voient des vedettes, ils veulent faire pareil. Alors, on va vouloir ne pas trop laisser ça de côté. Cela dit, ce ne sont pas les professionnels qui sont déjà rendus sur le circuit qu’on aide, c’est en dessous. Les jeunes qu’on regarde en ce moment, ils ont 9, 10, 11, 12 ans. Jusqu’à 14 ans, c’est vraiment crucial », explique M. Lapierre.

En résumé, les vedettes établies ne sont pas touchées et vous allez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour ne pas laisser échapper de nouveaux talents. Mais tout le reste écope. C’est bien ça ? « Oui », répond le VP de Tennis Canada.

Un trou de 17 millions

Tennis Canada a eu une réunion du conseil d’administration la semaine dernière. Personne ne pouvait s’attendre à un portrait financier emballant, cela va de soi.

« On est toujours en train d’essayer d’aller chercher une marge de crédit importante pour traverser la tempête. Et ça va durer plusieurs années avant qu’on retombe sur nos pieds », souligne Eugène Lapierre.

« Quand on a fermé les livres cette année, on avait une perte financière – on a perdu beaucoup, mais il y a des dépenses qu’on n’a pas eu à faire, évidemment – d’environ 17 millions à récupérer, si on veut continuer à fonctionner. Mais ces 17 millions, on va les étaler sur plusieurs années pour les reprendre. »

Il est trop tôt pour savoir s’il y aura une Coupe Rogers en 2021. Et, s’il y en a une, si elle se déroulera sans spectateurs, en mode COVID-19, avec des gradins remplis seulement au quart ou, scénario optimiste et idéal, sans aucune restriction. « Mais, même là, j’imagine qu’il resterait encore une certaine crainte des grands rassemblements chez une partie de la population », présume M. Lapierre.

Si le tournoi revient à 100 %, les ennuis financiers seront atténués. Mais dans le cas contraire, s’ajouteront « quelques années de vaches maigres ».

Un tournoi estival improvisé

Laissons les chiffres pour revenir à la relève. Pour faire jouer leurs jeunes espoirs, Tennis Canada et quelques entraîneurs ont mis sur pied le Circuit du Défi du Nord, qui s’est échelonné de la mi-août au début de septembre, à Montréal, Laval et Repentigny, avant de culminer à Granby. Des Québécois et quelques Ontariens de 14 à 24 ans ont pris part à ces mini-tournois.

« C’était de l’improvisation totale ! lance Eugène Lapierre. Mais ça a été très valable parce qu’il n’y avait rien qui se passait. Ils ont eu du fun, on remettait de petites bourses, rien d’énorme. Et là, on essaie de voir ce qu’on pourrait faire pendant l’automne, juste pour que nos meilleurs joueurs et joueuses aient des matchs à jouer. »

La Gatinoise Mélodie Collard s’est démarquée pendant ce Défi du Nord. Mais d’autres ont aussi fait écarquiller les yeux d’Eugène Lapierre.

« Il y avait un groupe de jeunes filles de Toronto qui vont être tellement bonnes, s’extasie-t-il. À propos de deux ou trois d’entre elles, on s’est dit : “Oh, ça, c’est dans les tops !” »

Du lot, Victoria Mboko, qui vient à peine d’avoir 14 ans. « Elle frappe, ça n’a pas de bon sens », observe M. Lapierre.

Un nom qui pourrait bientôt s’ajouter à la liste de plus en plus longue des jeunes vedettes canadiennes.

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