Opinion

La FFQ creuse sa tombe

À la suite de la démission de Gabrielle Bouchard à la présidence, repenser la Fédération des femmes du Québec

La Fédération des femmes du Québec (FFQ) a malheureusement commencé à s’éloigner de son mandat au début des années 2000, quand sa présidence a accepté de considérer la prostitution sous l’angle improbable d’une émancipation individuelle et qu’elle a reconnu dans cette marchandisation indigne du corps des femmes un « travail ». C’est à cette époque que les choix individuels de quelques femmes ont commencé à se substituer aux droits collectifs des femmes.

C’est ce qui a permis, 20 ans plus tard, aux intérêts des systèmes prostitueurs de s’engouffrer dans cette vague avec un aplomb tel que des intervenants d’un groupe jeunesse se sont réclamés de l'« agentivité » des enfants (!) à se prostituer lors de la commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs en janvier dernier !

Cette notion d’« agentivité » des femmes prostituées a été votée en octobre 2018 lors d’une séance extraordinaire de la FFQ en préparation depuis plusieurs mois, où l’on s’est surtout affairé à augmenter considérablement le nombre de membres individuelles favorables à la motion.

On a insisté sur la « liberté d’agir » et le supposé consentement libre et indépendant des femmes sans égards aux facteurs sociaux, économiques et familiaux qui influent sur des « choix ». Sans égards au rôle et aux motivations des prostitueurs et des proxénètes et, surtout, sans jamais remettre en question cette violence faite aux femmes. La FFQ « a franchi un pas de plus vers l’absurde et l’ignominie », écrivait alors Marie-Andrée Chouinard, éditorialiste au Devoir.

C’est sous l’égide de cette « liberté » que le port du voile, dépouillé de son symbolisme sexiste et patriarcal, s’est magiquement réclamé du « féminisme ». Et de fil en aiguille, et assez cyniquement, la récente présidente de la FFQ a fini par faire la promotion du patriarcat religieux avec son tristement célèbre « le voile, c’est badass ».

Dans le courant des débats sur les accommodements raisonnables, et lors d’une assemblée extraordinaire à l’Université Laval en mai 2009, la FFQ faisait adopter une résolution contre l’interdiction du port de signes religieux au sein de la fonction publique québécoise et des services publics québécois. Elle était fortement soutenue par des représentantes du Conseil islamique canadien et de Présence musulmane.

Djemila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-coran, qui s’était invitée à l’assemblée, avait alors accusé la FFQ de trahir les femmes et souligné « la domination de la propagande des femmes islamistes au détriment de l’expérience de femmes arabo-musulmanes contre le voile et de celle des femmes iraniennes ».

On voulait inclure les femmes qui portaient le voile, après avoir inclus les femmes qui se disent libres de se prostituer, plutôt que de combattre la discrimination derrière ces prétendus libres-choix.

À partir de 2010, la présidence a choisi d’adopter une analyse féministe intersectionnelle, un produit d’importation d’un impérialisme américain autrefois décrié. C’est à ce moment-là que plusieurs femmes ont claqué la porte de la FFQ, alors qu’on a voulu imposer ces analyses et celle d’une laïcité dite « inclusive ».

Le couronnement de Mélanie Sarazin de l’Outaouais en 2015 a été bref, houleux et douloureux et a ouvert la porte à la présidente démissionnaire Gabrielle Bouchard qui s’est attelée à remettre en question l’existence même des sexes. Les femmes n’étant plus rassemblées sous la catégorie commune du « sexe » comment peut-on défendre leurs droits ?

La FFQ a totalement oblitéré que c’est le fait d’être une femme, un humain dont le sexe biologique est féminin, que repose LE critère d’oppression, de discrimination et l’origine de nos luttes communes contre le patriarcat et la violence masculine. C’est ce fait biologique qui a motivé les nombreuses revendications et les gains pour l’obtention de moyens contraceptifs, l’accès à l’avortement, les revendications pour avoir accès à des garderies abordables, les congés de maternité, et les espaces sécuritaires pour protéger leur intimité physique. La négation des sexes biologiques est intolérable.

À ceci s’ajoutent les odieuses pratiques anti-démocratiques de la FFQ qui se sont tranquillement installées et qui ont fait l’objet d’un constat dévastateur dans un document publié par la CSN en mars 2019. La CSN dressait un portrait peu reluisant des pratiques, des positions et du bilan de la Fédération et recommandait de mettre fin à son adhésion.

D’ailleurs, la FFQ a souligné l’augmentation du nombre de membres individuelles sous la présidence de Gabrielle Bouchard, gardant sous silence la diminution de moitié des membres associatives.

Des militantes féministes revendiquent de plus en plus un féminisme universaliste soulignant que les discriminations envers les femmes sont universelles et sont vécues par toutes les femmes. C’est par ignorance que certaines adeptes de l’analyse intersectionnelle ont propagé la fausse information que le féminisme de deuxième vague excluait des femmes vulnérables. Il suffit pourtant de lire les avis du Conseil du Statut de la femme des années 80 et 90 pour constater que ces femmes étaient tenues en compte et que cette pratique avait même un nom : les discriminations croisées.

La FFQ doit se concentrer sur les facteurs de discrimination, leurs origines, leurs causes pour enrayer les atteintes faites aux femmes et cesser de promouvoir les choix individuels d’influence néolibérale ou patriarcale de toute une chacune.

Parce que force est de constater que certaines femmes misent alors sur une « liberté » qui les aliène. Pensons à ces femmes qui ne voulaient pas du droit de vote au début du XXe siècle. Si on avait alors insisté pour défendre toutes les femmes comme la FFQ le conçoit maintenant, nous attendrions peut-être encore le droit de vote ou de siéger aux parlements.

De moins en moins de femmes se reconnaissent dans la FFQ depuis qu’elle défend des « clientèles », avec l’insuccès de ces positions politiques intenables.

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