Walmart de Jonquière, 10 ans plus tard

QUELQUES DATES

Août 2001

Début des embauches pour le futur Walmart de Jonquière.

Octobre 2001

Ouverture du magasin de Jonquière.

Décembre 2003

Échec d’une première requête de syndicalisation d’employés. 

Août 2004 

160 employés sur 200 signent leur carte d’adhésion. Des employés de Walmart se syndiquent, une première. 

Février 2005 

Des membres de la haute direction de Walmart annoncent que le magasin de Jonquière fermera le 6 mai. 

29 avril 2005 

Fermeture du Walmart de Jonquière. 

Juin 2014 

Après un long combat juridique, les ex-employés de Jonquière obtiennent gain de cause devant la Cour suprême. Ils reçoivent une somme qu’ils ne peuvent divulguer. 

Walmart de Jonquière, 10 ans plus tard

« Les gens ont viré fous ! »

Peu avant 8 h, le 29 avril 2005, Patrice Bergeron est arrivé dans le stationnement du Walmart de Jonquière. Il a garé sa Pontiac Sunbird 1992 blanche près de la bâtisse et est entré pour entamer sa journée.

L’employé s’attendait à passer un autre quart de travail difficile. Bougie d’allumage de l’implantation du premier syndicat dans un Walmart, Patrice Bergeron était devenu l’antéchrist aux yeux de certains de ses collègues depuis que la direction de Walmart à Toronto avait annoncé la fermeture-surprise du magasin de Jonquière. Date annoncée de la fermeture : 6 mai.

Au matin du 29 avril, le gérant a réuni les employés dans l’entrepôt du magasin.

« C’est votre dernier quart de travail, a-t-il annoncé. Le magasin ferme aujourd’hui. »

« Les gens ont viré fous !, se souvient Patrice Bergeron. Les employés qui étaient contre le syndicat ont commencé à démonter le magasin. Les caissières qui étaient avec le syndicat sont parties à la course. Le harcèlement a explosé. L’ambiance était terrible. Quand on est partis, à 16 h, on s’est pratiquement sauvés, sinon on se serait fait lancer des tomates. »

Pour Patrice Bergeron, c’était la fin d’une période trouble. Et le début d’un cauchemar qui allait le laisser entre la vie et la mort.

Un drame personnel dont il n’aurait jamais pu soupçonner l’ampleur le jour où son regard s’est posé sur une offre d’emploi de Walmart publiée dans Le Quotidien de Chicoutimi, à l’été 2001, quatre ans plus tôt. 

Après trois entrevues, deux en tête à tête et l’autre en groupe où on lui demande de chanter la chanson de Walmart, Patrice Bergeron est embauché pour décharger les remorques dans l’entrepôt du tout nouveau magasin, dont l’ouverture est prévue pour octobre 2001.

Les problèmes surviennent rapidement.

« En août, les responsables du magasin nous avaient dit, devant 200 personnes, que nous allions avoir une augmentation de salaire quand le magasin allait ouvrir, trois mois plus tard. Puis le magasin a ouvert, et il n’était plus question d’augmentation. » Patrice Bergeron gagne alors 7,70 $, soit 25 cents de plus que le salaire minimum de l’époque.

Embauché lui aussi avant l’ouverture, Gaetan Plourde travaille au département de l’électronique du magasin. « J’étais bien, j’aimais mon travail, dit-il. Le salaire n’était pas gros, mais ça, je le savais en arrivant. »

M. Plourde s’était donné comme objectif de travailler un an chez Walmart. Mais ses patrons sont contents de lui, il est fait employé permanent. Il décide de rester.

Une fois l’an, la direction du magasin organise une réunion pour permettre aux employés de parler de ce qui pourrait être amélioré dans leurs conditions de travail. Gaetan Plourde fait quelques recommandations. L’année suivante, les employés sont conviés à la même réunion, sans que les points soulevés 12 mois plus tôt aient été réglés.

Lui-même ancien propriétaire de commerce, Gaetan Plourde comprend ce qui se passe. « J’ai réalisé que les responsables n’avaient pas plus de pouvoirs que nous. Même le gérant du magasin n’avait aucune marge de manœuvre. Ces rencontres, j’en suis venu à croire qu’elles servaient surtout à identifier les chialeux. »

Cette réalisation lui donne « beaucoup d’énergie », dit-il. « Nous avons un code du travail, au Québec, un code qui a été fait après beaucoup de souffrances. Même s’il s’agit de la plus grosse entreprise du monde, ce code doit être respecté. »

Entre-temps, Patrice Bergeron et d’autres employés avaient mis sur pied un petit mouvement visant à syndiquer le magasin. C’est le manque de considération de la direction qui a lancé le bal, dit-il.

« Un gérant m’avait dit de ne pas parler de mon salaire avec les autres employés. J’ai compris pourquoi : personne ne semblait avoir le même salaire, même les employés qui faisaient la même tâche. Et l’employeur ne respectait pas l’ancienneté : un nouvel employé recevait un poste intéressant alors que plusieurs employés très dynamiques auraient aimé l’avoir. »

La démarche syndicale ne débute pas très bien : un employé favorable au syndicat de la première heure quitte son travail. Patrice Bergeron se fait harceler par la direction, qui installe une caméra miniature dans sa section pour l’épier, dit-il.

En décembre 2003, une première requête de syndicalisation est déposée. Le vote secret est un échec.

Ensuite, les choses se corsent. Les employés favorables au syndicat continuent de tenter de convaincre les autres gagne-petit de se rallier, tandis que ceux qui y sont hostiles font planer des rumeurs de fermeture du magasin.

Petit à petit, des employés signent leur carte d’adhésion au syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC). En août 2004, 160 employés sur 200 adhèrent au syndicat. Les employés du Walmart de Jonquière obtiennent une accréditation syndicale, une première dans la constellation internationale de magasins du géant américain.

Une victoire qui n’en est pas vraiment une.

« Le harcèlement a empiré, dit Patrice Bergeron. C’était rendu intenable. Les gérants ont pris le contrôle du magasin. Les rumeurs de fermeture étaient de plus en plus fortes. »

Six mois plus tard, des membres de la haute direction du siège social de Toronto se rendent au magasin de Jonquière pour y rencontrer les employés en petits groupes. « Le magasin perd de l’argent, disent-ils. Il va devoir fermer. »

« Ç’a été la pire journée de ma vie. Les employés anti-syndicat m’en voulaient à mort. On m’a accusé d’être le responsable de la fermeture. Même si on savait très bien que le magasin était rentable, apprécié et que les employés étaient dynamiques. » — Gaetan Plourde

L’arrivée du syndicat a ouvert un trou dans la coque du bateau. Là, le bateau coulait.

M. Plourde s’est fait traiter de tous les noms, mais n’a pas gardé de rancœur.

« Walmart sélectionne des personnes de 55, 60 ans, surtout des femmes. Des gens qui n’ont pas travaillé souvent, ou à des petits salaires, sans grandes responsabilités. Là, elles arrivent chez Walmart, et elles sont responsables d’un département.

« Ces personnes-là, tu viens de leur donner leur moment de gloire. Ça fait d’elles des personnes très responsables, très fiables. Il faut se mettre à leur place. Walmart devient pratiquement un dieu. »

Aujourd’hui, M. Plourde habite toujours Chicoutimi. Les années post-Walmart ont été difficiles sur le plan du travail. « Même si nous sommes dans une région syndicaliste, mon nom avait été médiatisé. Les gens ne veulent pas s’embarrasser d’une tête forte. »

Après la fermeture, Patrice Bergeron a aussi connu des années difficiles. Il a fait une dépression et s’est mis à boire. Un accident de voiture a failli lui coûter la vie. L’ex-employé a finalement déménagé dans la région de Québec, avant de retourner aux études. Aujourd’hui père de famille, il travaille avec des personnes atteintes de déficience intellectuelle.

Après une longue bataille devant les tribunaux, la Cour suprême a donné raison l’an dernier aux employés du Walmart de Jonquière, qui affirmaient que la fermeture du magasin par l’entreprise contrevenait à la loi, la fermeture étant motivée par l’accréditation syndicale.

Une victoire assortie d’un important chèque, dont les employés ne peuvent divulguer la somme.

« Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir gagné la médaille d’or », dit simplement Gaetan Plourde.

Nous avons contacté les représentants de Walmart pour obtenir leurs commentaires. Ils n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.