Opinion Boucar Diouf

Ces alliés invisibles contre le virus

Quand l’humain parle de microbes, il pense souvent à cette force invisible et hostile qu’il ne faut surtout pas ménager. Pourtant, près de 95 % des bactéries sont en paix avec l’humanité ou nous rendent même des services irremplaçables dans la biosphère. Pour les virus, ce pourcentage est encore plus élevé.

D’ailleurs, en ces temps de pandémie où la phobie pour le monde des microbes est à son paroxysme, je me suis demandé ce que serait la lutte contre la COVID-19 sans la discrète contribution bactérienne à notre effort de protection. En effet, les bactéries connaissent depuis bien plus longtemps les virus que les humains, car elles les côtoient depuis les premiers balbutiements de la vie sur la planète.

Les virus appelés des bactériophages, qui abondent sur les continents et dans les eaux, commettent continuellement des massacres dans les populations bactériennes.

Aussi, à force de goûter à leur médecine dans cette guerre ouverte et certainement vieille de plus de 3 milliards d’années, les bactéries ont affiné leurs défenses et développé des outils que nous avons récupérés et mis au service de la recherche scientifique, y compris celle consacrée à la lutte contre la COVID-19. Alors, même si, traumatisés par un virus, nous nous aspergeons de gels en maudissant le monde microbien, il est important de ne pas oublier cette précieuse contribution bactérienne à notre lutte contre ce coronavirus.

Pour mieux rappeler, une fois de plus, l’importance de préserver la biodiversité jusque dans ces formes microbiennes, permettez-moi de vous raconter pourquoi ce devoir de reconnaissance envers leur participation à notre effort de protection est si important.

Confrontées aux meurtrières attaques des virus, certaines bactéries ont développé au cours de l’évolution une technique d’immunisation très particulière. De quoi s’agit-il ? Lorsqu’une bactérie est infectée, il arrive qu’elle capture un morceau du matériel génétique du bactériophage et l’intègre dans son propre génome pour garder un souvenir du passage de l’assaillant. En se multipliant, la bactérie qui a survécu à cette première attaque produit alors une lignée qui sera porteuse de la marque. De ce fait, advenant une deuxième agression, ces générations sensibilisées seront capables de tuer le virus en coupant son génome à cet endroit qu’elles ont en quelque sorte photocopié et gardé en souvenir.

Ce mécanisme est comparable au travail effectué par les lymphocytes T à mémoire dans notre système immunitaire. Ce groupe de globules blancs a aussi la particularité de mémoriser l’identité d’anciens agresseurs et d’organiser une réponse plus rapide et fulgurante advenant une deuxième attaque. On peut aussi comparer cette immunité adaptative bactérienne au principe de la vaccination chez les humains. Dans les deux cas, la familiarisation avec l’agresseur permet de se préparer, de l’attendre de pied ferme et de le battre plus efficacement à la seconde rencontre.

Par contre, si notre système immunitaire mise sur des anticorps comme armes de combat, ces bactéries se défendent en utilisant un ciseau moléculaire devenu très populaire dans les laboratoires. En effet, cet outil de circoncision génomique fatal aux virus a été un jour découvert et mis au service des chercheurs, qui l’ont baptisé CRISPR-Cas9. Un acronyme dont je vous épargne la signification pour ne pas tourmenter ceux qui ne sont pas initiés au vocabulaire de la génétique moléculaire. Sans entrer dans les détails, je voulais simplement rappeler ici que c’est grâce à ce mécanisme bactérien que nous avons développé certains des tests rapides utilisés pour traquer la présence du SARS-CoV-2 dans des prélèvements naso-pharyngés.

Le système CRISPR-Cas9 est si novateur en recherche que l’humanité a salué non pas le génie bactérien, mais le travail d’Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna en leur décernant le prix Nobel de chimie 2020 pour cette découverte prodigieuse pour les uns et effrayante pour les autres.

En effet, si en recherche médicale, ce scalpel au service de la chirurgie des gènes est vu comme une occasion en or pour l’avancement des thérapies géniques, pour les éthiciens, il ouvre aussi largement la porte à des dérives expérimentales de modification du vivant, notamment les embryons humains.

Mais ça, ce n’est vraiment plus le problème des bactéries.

Nous devons aussi remercier les bactéries pour un autre héritage qui nous permet de faire les fameux tests PCR (réaction de polymérisation en chaîne) qui sont au centre des stratégies de la lutte contre la COVID-19. Dans cette méthode, l’outil emprunté aux microbes, la Taq polymérase, est une enzyme qui a été découverte dans une bactérie très résistante à la chaleur. Une espèce appelée Thermus aquaticus (Taq) que le chercheur Thomas Brock a trouvée en 1966 dans une source d’eau chaude du parc de Yellowstone. Ce sont les prouesses adaptatives de cette espèce qui sont principalement à la base de la technique PCR. Ce précieux procédé, qui permet d’amplifier considérablement d’infinitésimales quantités d’ADN, a donné un élan spectaculaire à la recherche en génétique moléculaire.

En plus de son rôle dans les tests de dépistage, la PCR était également au menu pendant le décryptage du virus et certainement dans le développement des vaccins à ARN censés nous sortir de ce cauchemar sanitaire, économique et social que nous traversons. L’utilisation de la Taq polymérase dans la technologie PCR a valu à Kary Bank Mullis et Michael Smith le prix Nobel de chimie de 1993. Aujourd’hui, en plus de la Taq polymérase, des enzymes de même nature provenant d’autres espèces permettent de faire de la PCR. Un transfert de compétence pour lequel, à défaut de lui donner un prix, il faudrait peut-être parfois lever notre chapeau et saluer la biodiversité bactérienne pour les services rendus à l’humanité.

La morale de cette chronique moléculaire est la suivante : même une bactérie, si inutile soit-elle dans notre imaginaire, a quelque chose à nous apprendre.

Voilà aussi pourquoi une sagesse africaine enseigne qu’une mauvaise herbe n’est rien d’autre qu’une plante dont nous ne connaissons pas encore les vertus.

Mais comment faire comprendre ce discernement à une espèce profondément habitée par une vision utilitariste de la création ? L’humain, c’est ce bipède qui idolâtre les êtres vivants qui servent ses intérêts, mais pour les autres, le qualificatif d’espèce nuisible ou inutile n’est jamais loin.

Une petite proposition pour terminer. À la place de l’humanisme qui est sur toutes les lèvres, pourquoi ne pas enseigner à nos enfants l’écologisme qui célèbre la pertinence de toutes les vies ? L’écologisme a le mérite d’être moins anthropocentrique que l’humanisme, qui semble élever toujours plus haut la muraille qui nous sépare du reste du vivant en positionnant les sentiments humains au centre de notre court passage dans la biosphère.

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