Opinion : Armes à feu à Montréal

Des approches qui ont fait leurs preuves

On assiste depuis quelque temps à une hausse préoccupante des incidents liés à l’usage d’armes à feu dans le nord de Montréal et à Laval. Des vies d’adolescents et de jeunes adultes sont fauchées, et les résidants, dans certains secteurs, sont inquiets pour leurs jeunes et n’osent plus sortir le soir. Il serait irresponsable pour les autorités de ne rien faire ou de proposer des réponses qui n’ont que très peu de chances de fonctionner.

Pour limiter la violence urbaine, le développement social est une avenue nécessaire. Il faut tout faire pour améliorer les conditions de logement, les services sociaux, les soins de santé, l’éducation, les programmes d’emplois et les loisirs chez les jeunes. De tels programmes sont utiles pour assurer la qualité de vie des résidants de quartiers moins privilégiés et favoriser, sur le moyen et le long terme, l’intégration sociale des jeunes, ce qui constitue le meilleur rempart contre la violence.

Toutefois, lorsqu’un problème précis se pointe, il faut agir rapidement pour éviter que celui-ci ne conduise à une détérioration de la situation en créant des zones de non-droit.

Les services de police viennent de créer une escouade visant l’approvisionnement et la distribution des armes à feu. Or, l’arrestation récente d’un jeune conseiller financier de l’Estrie, qui a traversé la frontière avec 249 armes de poing, nous montre qu’il est relativement facile d’importer des armes illégalement.

Agir sur l’importation et la distribution des armes est certes un élément de solution, mais si la demande persiste, des armes seront toujours disponibles.

Nous pensons que les développements récents dans le monde de la lutte contre le crime urbain réalisés aux États-Unis pourraient fournir un cadre de référence utile dans notre contexte. L’approche de la « dissuasion concentrée » (focused deterrence) – de chercheurs tels Braga, Weisburd, Kennedy ou Brunson – a servi de cadre pour des projets expérimentés tels l'Operation Ceasefire à Boston, ou le Project Safe Neighborhoods à Chicago. Cette approche est le fruit des résultats de recherche dans le domaine de la résolution de problèmes et de la lutte contre les gangs criminalisées. On parle maintenant d’une police proactive qui vise à agir en amont des problèmes et qui déploie des stratégies pour prévenir la violence.

Une approche dissuasive

L’approche de la dissuasion concentrée demande d’abord un investissement important de surveillance, de compilation de données de renseignement et d’analyse afin d’établir les réseaux criminels présents sur un territoire. Il faut établir qui fraye avec quel groupe, qui est un acteur important de chacun des groupes, qui est sous supervision judiciaire, etc. Une fois les réseaux bien établis, des rencontres sont organisées entre policiers et les acteurs majeurs des réseaux auxquels on explique les principes de la nouvelle approche. Des comportements sont ciblés, soit les meurtres et les fusillades, et on explique qu’en cas de violation par les membres d’un groupe, ce seront tous les membres du groupe qui subiront une nouvelle pression. En particulier, les activités « commerciales » des membres du groupe seront mises en danger et les membres qui ont des conditions judiciaires seront suivis de près. Soudainement, les comportements inappropriés des membres d’un groupe deviennent moins tolérables à l’interne puisque tous doivent payer le prix. À titre d’exemple, à Boston, de 40 à 50 jeunes se faisaient tuer à chaque année lors de fusillades avant l’intervention, alors que le nombre est passé à moins de 20 pour les années suivantes.

En plus du message dissuasif, les rencontres organisées devraient impliquer des organismes communautaires ou même des associations religieuses – qui ont un rôle important à jouer dans certaines communautés – qui peuvent offrir des services d’aide aux membres des groupes.

En outre, les policiers ont la capacité de régler un certain nombre de situations problématiques que vivent les jeunes des réseaux. Beaucoup de crimes commis dans les milieux criminels s’expliquent par le fait que ces derniers n’ont pas de recours officiels lorsqu’ils ont été victimes et ainsi n’ont d’autre choix que de se faire justice eux-mêmes. Or, les policiers peuvent à l’occasion jouer un rôle de conciliateurs. En somme, le dialogue entre les autorités de la Ville et les personnes influentes des différents groupes est possible.

Plusieurs programmes de dissuasion concentrée ont été évalués et ont amené des réductions de l’ordre de 30 % ou 50 % des crimes impliquant des armes, même si tous les programmes tentés n’ont pas donné d’aussi bons résultats. D’autres stratégies complémentaires ont aussi été développées, comme la surveillance de points chauds (hot spots policing) ou la surveillance accrue de personnes qui sont encore sous supervision judiciaire (probation, libération conditionnelle). Lorsque des infractions sont décelées, des contrôles d’identité ou des fouilles pour les armes menées auprès des gens criminalisés ou dans des coins chauds peuvent aussi contribuer à sortir les armes de la rue. Des caméras de surveillance aussi peuvent être installées dans des endroits stratégiques.

Les approches qui misent sur des individus particuliers, des groupes et des endroits précis évitent de mettre la pression sur tous les jeunes d’un quartier et d’ainsi créer de l’animosité et un sentiment d’oppression.

À la lumière des développements récents dans le monde de la recherche policière, il apparaît qu’une philosophie qui permet de mieux cibler l’intervention de l’État sur des personnes, crimes ou endroits précis permet de faire réduire la violence tout en ouvrant le dialogue avec des groupes de jeunes qui sont souvent réfractaires à l’autorité. Un rapport de USAID qui a permis d’étudier 43 analyses systématiques de plus de 1400 études, plus des activités terrain aux États-Unis, au Salvador, au Guatemala et au Honduras indique que les programmes basés sur la dissuasion concentrée (ainsi que ceux, au plan individuel, basés sur l’approche cognitivo-comportementale) sont les plus efficaces pour faire baisser la violence dans les communautés. A contrario, des programmes comme le rachat d’armes, la lutte contre la drogue, les boot camps ou la police communautaire n’ont pas d’impact important sur la violence urbaine.

En somme, bien que la principale manière de faire baisser la violence soit de favoriser l’intégration sociale des jeunes par des mesures sociales et éducatives, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, les incidents reliés aux armes sont trop nombreux dans certains secteurs de Montréal et Laval. Or, pour traiter le problème spécifique des crimes commis avec une arme à feu, il faut adopter une approche qui a fait ses preuves. Un problème précis, une réponse précise. La dissuasion concentrée permet d’éviter que des policiers aillent à la pêche en interpellant les jeunes au hasard dans la rue, ce qui conduit à des sentiments d’hostilité et de méfiance des jeunes d’un quartier. Elle demande toutefois un changement complet dans la manière d’exercer le métier de policier dans certains secteurs de la ville.

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