Si l’école était importante (18)

Il y a quelques jours, j’ai lu des mots scandaleux dans Le Journal de Québec. Je cite l’article en question : « La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, fait volte-face et ferme définitivement la porte à l’utilisation du logiciel de correction Antidote lors de l’épreuve uniforme de français au cégep… »

Je me suis dit, en tombant là-dessus1 : le monde va hurler, c’est sûr ! Un logiciel qui t’aide à corriger ta dissertation dans un exercice visant à déterminer si tu sais écrire !

Insérez ici des sons de criquet : personne n’a hurlé quand la Fédération des cégeps a fait cette suggestion, pour améliorer le taux de réussite. L’affaire a fait une brève apparition dans l’actualité, puis elle a disparu.

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L’épreuve uniforme de français est obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études collégiales. Il s’agit d’une dissertation critique sur un sujet donné. Exemple de thème à développer, en 2020 : « Est-il juste d’affirmer que dans l’extrait de la nouvelle Télesse, de Gérald Godin, le narrateur accepte le monde dans lequel il vit ? »

Et l’élève a quatre heures et demie pour pondre un texte de 900 mots.

Un élève sur quatre échoue dans la sous-catégorie grammaire, soit 27 %. Et le taux d’échec à l’épreuve en tant que telle est de 16,7 %, ce que je trouve plutôt bas. Je suis très, très, très, très surpris de constater que 83,3 % des cégépiens obtiennent la note de passage dans une dissertation critique de 900 mots : ça ne cadre pas du tout, mais alors là, pas du tout avec ce que les enseignants constatent et dénoncent depuis des années sur la piètre maîtrise du français chez leurs élèves…

Le système me répondra qu’on est dans l’anecdote quand les profs dénoncent, comme cette enseignante qui m’a parlé il y a quelques années2. Bien sûr. Mais les anecdotes sont nombreuses et se vérifient quand même dans le baromètre des taux d’échecs vertigineux au TECFEE.

Le quoi ?

Le Test de certification en français écrit pour l’enseignement, imposé aux futurs enseignants, à l’université. Le taux d’échec, au premier essai, oscille autour de 50 %. Quand ce n’est pas, dans certaines universités… 70 %, selon une enquête récente de La Presse3.

Je me demande quel résultat ceux-là ont obtenu à l’épreuve uniforme de français, au collégial…

Je ne ris pas de ces jeunes. Ils sont le produit d’un Québec qui s’accommode superbement bien de la médiocrité, que ce soit en santé, en nid-de-poule ou en dictée.

Le système d’éducation ne fait pas exception : à force de « faire passer » des illettrés au niveau supérieur à répétition, depuis le primaire, « sa done ce que sa done »…

Ou, comme l’expliquait récemment la didacticienne Suzanne-G. Chartrand4 : les examens de français de fin du secondaire et du collégial « sont des passoires ».

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Au Québec, la question de la langue est mobilisatrice. Politiquement et socialement. Ça vient nous chercher dans nos entrailles. Le français, c’est le socle de notre culture, de notre différence sur ce continent, dans le monde. Des lois aux États généraux et aux enquêtes journalistiques, la santé du français est sujet d’inquiétudes existentielles depuis des décennies.

Voyez la loi 101. Voyez le projet de loi 96. Voyez nos déchirements sur l’immigration. Voyez notre émoi collectif, quand est débusquée et médiatisée une étudiante de Concordia qui, derrière la caisse d’une boutique de guenilles rue Sainte-Catherine, est incapable de dire « Bonjour » ou « Merci » à une cliente-journaliste undercover. Et que dire de nos empoignades sur l’importance relative de la « langue parlée à la maison » face à celle de la « langue d’usage » pour jauger de la santé du français à Montréal…

Mais pendant ce temps, l’École produit en quantité des diplômés qui écrivent mal, suite logique de normes qu’on abaisse depuis le primaire et de notes gonflées… Qu’importe ce que le réseau en dit officiellement (si le réseau disait la vérité là-dessus, il remettrait en cause sa propre pertinence).

Pendant ce temps, 50 % des futurs enseignants se plantent au premier essai du test en certification en français écrit, à l’université (quand ce n’est pas 70 %). Pas grave, ils peuvent se reprendre à l’infini : jusqu’à 15 fois, à l’Université du Québec à Trois-Rivières…

Pendant ce temps, l’immense majorité des enseignants qui m’écrivent à La Presse font au moins quelques fautes5. Je ne parle pas de l’accord du verbe « proroger » à l’imparfait du subjonctif (que vous prorogeassiez, merci Google). Je parle de fautes bêtes, « er » plutôt que « ée » dans la phrase : « J’aurais aimé être écouter. »

Drôle de peuple qui a des craintes existentielles sur l’avenir du français pour notre collectivité, mais qui se fiche de la maîtrise du français par ses enfants, ici et maintenant. Les deux sont pourtant liées, au-delà d’une autre évidence : savoir écrire, c’est aussi savoir penser.

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