De nombreuses élues ont été victimes d’inconduite sexuelle, révèle un sondage
Le mouvement planétaire de dénonciation de l’inconduite sexuelle s’étend désormais à l’Assemblée nationale.
Fait rarissime, 24 députées et ministres ont accepté de briser le silence sur ce fléau, n’hésitant pas à braquer un projecteur sur le côté sombre des coulisses du pouvoir, dans le cadre d’une enquête journalistique menée par La Presse canadienne.
Loin d’être rose, le portrait qui s’en dégage, à travers un sondage auquel elles ont participé et des témoignages recueillis, indique que l’inconduite sexuelle sous toutes ses formes n’épargne pas les femmes occupant des postes de pouvoir, loin de là.
Ainsi, près des deux tiers des répondantes (63 %) affirment avoir subi une ou plusieurs formes d’inconduite sexuelle, souvent à répétition, dans l’exercice de leurs fonctions d’élues.
Près d’une élue sur deux (42 %), dont deux ministres, soutient avoir déjà été victime de harcèlement sexuel avant de se lancer en politique.
Deux femmes siégeant présentement à l’Assemblée nationale ont connu dans leur chair ce que signifie une agression sexuelle.
18 députées et 6 ministres
Mains baladeuses, remarques désobligeantes à connotation sexuelle, faites en personne ou sur les réseaux sociaux, sur leur apparence physique, leur tour de taille ou de poitrine, leurs vêtements ou sous-vêtements, gestes déplacés, intimidation, avances peu subtiles, exhibitionnisme, chantage, harcèlement sexuel, voire agression sexuelle : elles disent en avoir vu de toutes les couleurs, dans les couloirs du parlement et ailleurs, pendant leur carrière politique et avant.
L’inconduite sexuelle ne connaît pas la hiérarchie politique. Que l’on soit simple députée de l’opposition ou ministre en vue n’y change rien : deux ministres affirment avoir déjà subi du harcèlement sexuel, tandis qu’une ministre garde le pénible souvenir d’une agression sexuelle.
C’est notamment ce que révèle le sondage d’une trentaine de questions expédié en novembre aux 37 élues de l’Assemblée nationale, députées de toutes les formations politiques. Du total, les deux tiers (24) ont accepté de répondre au questionnaire, qui portait sur deux thèmes : la place des femmes en politique (qui fera l’objet d’un reportage ultérieur) et le harcèlement sexuel.
Parmi celles-ci, on compte 18 députées de toutes les formations politiques et six ministres du gouvernement Couillard.
Cette démarche, effectuée dans la foulée des mouvements #Agressionnondénoncée et #Moiaussi, qui ont fait tache d’huile, visait à savoir dans quelle mesure l’inconduite sexuelle avait contaminé le milieu politique québécois, à partir de la perception que pouvaient en avoir les élues. Un deuxième objectif consistait à offrir aux élues l’occasion de parler de leur expérience personnelle, présente et passée.
Afin de permettre aux femmes politiques de s’exprimer en toute liberté, sans autocensure, la démarche était confidentielle et l’anonymat des répondantes a été préservé. Certaines ont ainsi pu raconter par écrit des expériences désagréables, voire traumatisantes, surgissant d’un passé proche ou lointain.
Deux participantes, la libérale Karine Vallières et la solidaire Manon Massé, ont tenu quant à elles à témoigner à visage découvert, en se confiant dans le cadre d’une entrevue.
Inconduite sous toutes ses formes
Dans l’ensemble, dans le cadre de leur travail, les élues se plaignent surtout de devoir subir des « remarques déplacées à caractère sexuel » (58 % des répondantes), des propos de nature sexuelle partagés sur les réseaux sociaux (54 %), des gestes déplacés (21 %) ou de recevoir des textos embarrassants (8 %).
Une députée affirme avoir reçu sur Facebook « des milliers » de messages contenant des remarques dégradantes sur son apparence physique, sans compter de nombreuses « invitations » à caractère sexuel.
Deux élues disent avoir été victimes de harcèlement sexuel dans le cadre de leurs fonctions et une affirme avoir subi de « l’intimidation avec force physique » provenant d’un député d’une autre formation politique.
Ainsi, 12 % d’entre elles identifient un collègue, député ou ministre, de leur propre parti comme l’auteur de ces écarts de conduite, et 17 % des répondantes pointent du doigt un élu d’une formation politique autre que la leur. Mais dans la plupart des cas d’inconduite, l’auteur est quelqu’un ne faisant pas partie des cercles politiques.
Une députée affirme connaître une attachée politique qui a perdu son emploi après avoir dénoncé le ministre qui la harcelait sexuellement.
« [Il faut] que les gens sachent que cette situation de banalisation se vit aussi dans le milieu politique. »
— Témoignage d’une députée sur la « culture du viol » présente à l’Assemblée nationale
Les faits saillants
24 des 37 élues de l’Assemblée nationale ont accepté de participer au sondage maison de La Presse canadienne sur le harcèlement sexuel en milieu politique, soit 18 députées de tous les partis et 6 ministres.
63 % des élues québécoises, députées et ministres, ont subi une ou plusieurs formes d’inconduite sexuelle, souvent à répétition, dans l’exercice de leurs fonctions.
42 % des élues québécoises, députées et ministres, ont déjà été victimes de harcèlement sexuel.
2 femmes siégeant à l’Assemblée nationale ont déjà subi une agression sexuelle.
46 % des femmes parlementaires considèrent que « la culture du viol » sévit au Québec.