Notre choix : Mes forêts

La vie secrète des arbres

Mes forêts

Hélène Dorion

Éditions Bruno Doucey

128 pages

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C’est une poète à l’écoute d’un univers vibrant, autour et en elle, que l’on retrouve dans Mes forêts. Le livre d’Hélène Dorion s’inscrit dans la suite logique de son récit accompagné de photos Le temps du paysage (Druide, 2016), son recueil de poèmes Comme résonne la vie (Bruno Doucey, 2018) et son roman Pas même le bruit d’un fleuve (Alto, 2020).

Embrassant la vie secrète des arbres avec un regard large, la poète effeuille les couches de sens pour en arriver à l’essence des espèces animale, végétale et minérale. Elle écoute le vent dans les branches, la pluie sur les feuilles, les bruissements, les piaillements, même le silence. Elle se reconnaît dans la lumière changeante, mais réconfortante de la forêt.

Plus qu’un retour aux sources, elle crée une symbiose avec la transcendance, à mille lieues des « chiffres pour ne rien dire » et de « tout un siècle à défaire le paysage ». Dans ce livre luxuriant émerge son besoin viscéral de reprendre contact avec l’organique forêt où l’arbre sait résister.

L’inquiétude du temps présent se ressent tout au long de cette promenade dans les bois. Les menaces existent. Elles sont urbaines ou humaines, tissées de mépris et de vengeance. Devant le chaos du monde, Hélène Dorion se demande si l’humanité saura « gravir la montagne jusqu’à nous », d’autant plus qu’elle dit ignorer ce qui se tait en elle « quand la forêt cesse de rêver ».

Plusieurs vers affichent cette beauté universelle. L’écriture permet à la poète de retisser des liens avec elle-même à travers la sève, les branches et le feuillage. Notre lecture renvoie à ce sentiment mêlé de peur et de bonheur que l’on éprouve en marchant en forêt. Ce sentiment, aussi, d’y vivre, ne serait-ce qu’un instant, une portion d’éternité.

« Il se fait tard pour la nuit humaine » et « le temps jamais ne s’arrête », écrit-elle encore au moment même où, dans l’actualité, des scientifiques croient qu’il n’y a ni début ni fin au temps. Nos forêts le savaient depuis toujours du haut de leur âge millénaire.

La dernière partie du recueil parcourt d’ailleurs l’Histoire humaine avec une lucidité sidérante, mais notre petite existence peut encore accueillir de grandes choses si elle reprend racine. Nous prenons tous et toutes place dans cette fragile coquille de bois avec l’autrice qui n’a jamais écrit que par amour de ses semblables.

Mes forêts est autant un compendium qu’une confession. La poète réussit à se lire dans l’écorce et les nœuds dont elle est faite, dont elle s’est faite. Dense et complexe. Comme elle l’écrit à propos des arbres, Hélène Dorion est un « être occupé à devenir sa forme singulière ».

La vocation d’aimer

Sainte Chloé de l’amour

Chloé Savoie-Bernard

L’Hexagone

112 pages

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Le troisième recueil de Chloé Savoie-Bernard est l’aboutissement d’un travail personnel et rigoureux entamé dans Royaume Scotch Tape (2015) et Fastes (2018). L’autrice maîtrise magnifiquement la langue et les images d’un vent puissant l’amenant encore plus loin, la déposant cette fois à l’intersection de l’amour et du divin.

On sent que la poète touche ici à la confiance qui lui permet de s’envoler. Vulnérabilité, corporalité, sexualité, blessures et tourments s’affichent toujours au menu, mais il s’y ajoute une élévation de l’esprit. Elle avoue qu’elle en a vu d’autres ; elle sait désormais que les ruines peuvent cacher une joie. Cela l’amène à émerger du « rose tendre » quelque part où elle perd à la fois « sa courtoisie et ses artifices ».

Les vers prennent de l’ampleur, de la couleur… du verbe ! La poète semble consciente de porter une croix depuis longtemps et s’apprête à la déposer avec les appréhensions et les violences subies. Elle n’a même pas besoin de tout pardonner, car on voit un sourire en coin apparaître dans son visage qui prend ses distances avec la mélancolie.

Elle peut célébrer le fait d’être femme malgré l’amertume ou la solitude. Entre le sacrifice et son absence, elle poursuit sa route au-delà des obstacles et des découragements, malgré « la peine autour du cou au lieu de la caresse ».

Certes, sa joie peut être une « épine entre deux vertèbres » ; sa colère côtoie le désir. La fragilité reste entière, bien visible, mais la poète la domine plus que jamais. Apaisée et sienne, sainte Chloé s’arrime à l’amour !

— Mario Cloutier, collaboration spéciale

L’autre en soi

Freak Out in a Moonage Daydream

Nicholas Giguère

Le Quartanier

312 pages

* * * 1/2

Nicholas Giguère pratique une littérature conceptuelle. Au contraire de bien des artistes visuels, toutefois, ce n’est pas pour se mettre au service d’une idée, aussi forte soit-elle, qu’il écrit. À travers l’autre, le romancier-poète dévoile tout, ses fantasmes, ses envies, ses joies et ses désillusions. Il se retrouve dans l’altérité.

Il ne pouvait trouver meilleur creuset poétique, vaste et arborescent, que dans la vie et l’œuvre de David Bowie. Cette communion donne un très long recueil que l’on peut ouvrir à peu près à n’importe quelle page afin d’être surpris, amusé, touché, secoué. On y retrouve Bowie, bien sûr, des albums Space Oddity à Scary Monsters, mais surtout l’auteur curieux, espiègle et provocateur de Queues et Petites annonces.

La compréhension du monde de l’écrivain fascine. Elle passe autant par la culture populaire que la plus pointue, de James Bond et Jojo Savard à David Lynch, Talking Heads et Denis Diderot. Et il ne s’agit pas de références gratuites dans cet univers phosphorescent. La vie du poète habite chacun des vers, en chair et en os, avec ses imprévus, même si cela paraît insensé.

Parce que le corps exulte la plupart du temps, il s’efforce et s’épuise. Le poète aime et déteste quelque part entre le rock et le génocide. Il assume tous les contrastes, toutes les déchéances et les victoires. Les poèmes sont admirablement courts, mais tout aussi explosifs les uns que les autres.

Dans un aussi long périple, on pardonnera les facilités de certains titres puisqu’avec sa superbe, Nicholas Giguère sait relancer constamment sa quête.

« Je serai l’espoir/de lancer la planète/contre une météorite brillante/je serai le vide créé/par les affres/de la liberté ».

— Mario Cloutier, collaboration spéciale

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