Crime et confinement-Chapitre 9

Des nouvelles de René

Après son acquittement, le truand Bob Bigras s’est rendu sur la côte Ouest pour se faire oublier. Là-bas, il coopère avec une experte des drogues de synthèse pour monter un business lucratif. Or, Miss Chen a eu vent du meurtre d’un homme dans l’appartement de René Dupont, à Montréal. Et elle n’aime pas ce qu’elle entend. Suite de notre polar estival.

Le lundi 6 avril, Baptiste Bombardier reçut un appel inespéré de Mario Malatesta. Son commandant. Celui-là même qui le forçait à travailler de la maison depuis 15 jours.

« BB, on a six agents en quarantaine. J’ai besoin que tu reviennes au poste. Maintenant. »

Bombardier songea brièvement à se laisser désirer. Puis il se ravisa. Une demi-heure plus tard, il était devant son bureau, au 35. Sa carte magnétique fonctionnait toujours. Rassurant. Sa chaise ergonomique, par contre, avait disparu. Il fit le tour de la salle et la retrouva devant le poste de travail de la sergente-détective Angele Jones.

« Jones, t’as volé ma chaise.

— Euh... Est-ce que ton nom est écrit dessus ?

— Oui. En dessous du siège. Mes initiales. BB. Au Liquid Paper.

Jones roula des yeux.

— OK, boomer. »

Elle se leva et lui céda la chaise. Bombardier la rapportait fièrement vers son bureau lorsqu’il entendit son nom.

« BB ! Jones ! Dans mon bureau ! »

C’était Malatesta. Sa voix de stentor imposait le respect. Son physique aussi. Un géant. Six pieds six pouces, 240 livres. Des mains grosses comme des pamplemousses. Un petit air de Serge Savard, trouvait Baptiste. Il le connaissait bien. Mala était un expert du crime organisé. Les deux avaient travaillé ensemble sur l’opération Julep, qui visait à faire condamner Bob « Big » Bigras. Ils avaient échoué.

Bombardier et Jones entrèrent en même temps. Malatesta les attendait, un masque de coton blanc sur le visage.

« Cadeau du boss. Tiens, un pour toi, Jones. Et un pour toi, BB.

Baptiste s’étouffa de rire.

— C’t’une joke, Mala ?

— J’ai-tu l’air de faire une joke ?

Baptiste s’étouffa de nouveau. Cette fois, pour vrai. Pour ne pas avoir à répondre.

— Tousse dans ton coude, BB ! Sérieux, on vient de perdre six agents. Ou bien tu mets le masque, ou bien tu retournes chez toi jusqu’à ce qu’ils trouvent un vaccin. »

Pendant que Bombardier enfilait docilement le masque, Malatesta se tourna vers la sergente-détective Jones.

« Bon, j’en ai perdu des bouts avec votre enquête. C’est quoi, le score ?

— Un mort, un disparu. Le mort, c’est un homme dans la trentaine. Non identifié. On a prélevé l’ADN hier. Sauf que l’analyste est en quarantaine. Le disparu, c’est René Dupont. Le propriétaire du loft. On a perdu sa trace. En passant, ses parents pensent toujours qu’il est mort.

— Dupont, c’est votre suspect, donc ?

Bombardier s’étonna de la question de Malatesta.

— Comment ça, notre suspect ?

— Ben là, un gars est mort chez lui, puis il disparaît. C’est peut-être l’assassin, non ? »

Bombardier toussa – dans son coude, cette fois – et laissa Jones répondre. Cette diversion lui donnait quelques secondes pour réfléchir à l’hypothèse de Malatesta. Dupont, assassin. C’était possible. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Où était passé son instinct légendaire ? Souffrait-il de la vision en tunnel ? S’était-il déjà convaincu de la culpabilité de Big Bigras, qui lui avait échappé après l’opération Julep ? D’ailleurs, Bigras, où peut-il se cacher ?

« BB ? Ça va ? demanda Malatesta.

— Oui, oui, c’est correct. La même toux. Depuis 25 ans.

— Tant mieux. Des témoins, Jones ?

— Le meurtre s’est déroulé en direct sur Zoom. Sept témoins. On en a rencontré cinq. Personne n’a vu l’assassin. On cherche toujours le sixième.

— Tu as dit sept, non ?

— Oui. Mais le septième a été retrouvé mort, samedi, à Vancouver.

— Mort ?

— Suicide. Il s’est jeté du haut de son balcon. Pas de trace de violence. Pas d’entrée par effraction. Il a envoyé un courriel à des amis juste avant de sauter. C’est Julie, une des filles du Zoom, qui nous l’a fourni.

— C’est sûrement pas une coïncidence. Faut retracer ses proches. Sinon, Dupont avait-il des ennemis connus ?

— Ennemis, c’est un peu fort, tempéra Bombardier. Disons qu’il avait pas mal de monde sur son dos. Des conspirationnistes. Un gars d’Elephant AI qu’il venait de congédier. Ses anciens patrons. J’ai parlé à la PDG hier. Elle était vraiment en crisse contre lui. Elle l’accuse d’être parti avec le code de l’application de traçage sur laquelle la compagnie travaille. Ça vaut une centaine de millions, facile. »

Le téléphone d’Angele sonna. Elle s’excusa et sortit de la pièce. Bombardier et Malatesta étaient désormais seuls.

« Mala, je repense à ce que tu as dit, tantôt. Sur Dupont, assassin. Pas fou.

— Continue.

— On sait que Dupont n’a pas participé au Zoom. La victime s’est fait passer pour lui. Probablement avec un logiciel de Deep Fake.

— Deep Fake ?

— Oui. Ça permet de mettre un visage sur un autre corps. Comme dans les films pornos.

— ...

— Tu sais, quand ils mettent la face d’une actrice connue sur un autre corps ?

— ...

— La vidéo avec la fille du dernier James Bond...

— ...

— Anyway. Mettons que le mort se soit fait passer pour Dupont pour soutirer une information à une des personnes dans Zoom. Et là, Dupont...

Jones l’interrompit. L’adrénaline dans le plafond.

— BB ! Grouille-toi. Faut partir.

— Pourquoi ?

— C’est Dupont. Il vient de donner signe de vie. Dans NDG.

— Comment ?

— Il a laissé un message. Sur Strava. Pas des mots. Plutôt un parcours. Comme un dessin.

— Et c’est quoi, ce dessin ?

— Deux lettres. B-B. »

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