Ces faiseux de fierté qui tirent leur révérence

« Le dernier souffle du mourant, les soupirs des amoureux et la première inspiration du bébé trouvent malheureusement leur origine à la même place, car la vie et la mort sont deux faces de la même pièce. » Ainsi disait ma mère qui, comme Guy Lafleur, a été emporté il y a quelques mois par le cancer. Cette maudite maladie semble être un bras armé de choix de la Grande Faucheuse tellement elle provoque des drames familiaux sur la planète. Dans le cas de ma mère, c’est une énorme tumeur au ventre qui avait fini par lui fermer les paupières. Depuis toujours, le mot tumeur me dérange, car on ne peut s’empêcher de l’entendre en deux mots lorsque le cancer se pointe dans un corps. Je crois qu’il faudrait un jour lui trouver un mot de remplacement, moins agressif, moins déprimant.

Comme pour le mot tumeur, nous devrions bannir de notre langage cette association entre combat et guérison du cancer qui nous fait dire que telle et telle autre personne a vaincu le cancer. Oui, il est vrai que le chemin de la guérison peut ressembler à un véritable parcours du combattant et nécessiter beaucoup d’investissement personnel et de dépenses énergétiques. Cependant, en présentant les malades comme des combattants et non comme de simples victimes d’une malchance naturelle, on désigne à tort des gagnants et des perdants. Pourtant, n’en déplaise à l’idéologie capitaliste qui idolâtre les vainqueurs, si avoir le moral, la volonté et les bons soins sont importants, le dénouement de l’histoire d’un malade du cancer relève souvent bien plus de la loterie naturelle que d’un véritable combat. En éliminant cette association, on évitera que certaines personnes se sentent comme des perdants en quittant ce monde.

Cela dit, avec le décès de Guy Lafleur, on peut dire que le cancer a emporté un grand vainqueur et un autre puissant catalyseur de la fierté francophone.

Aussi, je veux présenter ici mes condoléances à sa famille et à tous ceux qui se sont reconnus dans ce qu’il était, bien au-delà du hockey.

Vous savez, même si j’ai eu un coup de foudre pour cette nation et que j’ai laissé le Québec s’amalgamer très intimement à ma culture sénégalaise, ça m’a pris du temps à comprendre ce que représentaient véritablement les Jean Béliveau, Guy Lafleur, Maurice Richard, etc. Ces personnages étaient plus que des joueurs de hockey. Ils incarnaient des catalyseurs de fierté qui ont insufflé aux Québécois francophones une envie de se tenir debout devant l’hégémonie anglo-saxonne qui les maintenait au bas de l’échelle depuis trop longtemps. Autrement dit, c’est en les regardant aller sur la glace que les francophones ont senti monter en eux cette révolution mentale qui fait dire : « On est capables de les battre ! » C’est en inscrivant leurs exploits dans cette révolution bien plus significative que la conquête d’une Coupe Stanley qu’on arrive à comprendre pourquoi la chute de ces grands chênes laisse autant de vide et de tristesse dans la population. Salut, Guy !

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