Rapprochement Iran–Arabie saoudite

Une diplomatie pétrolière chinoise à grand déploiement

La presse fait largement écho au rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine. Plusieurs analystes y voient un autre signe de la montée en puissance de la Chine et du déclin des États-Unis, notamment au Moyen-Orient. Derrière cette initiative de Pékin, l’énergie est vraisemblablement l’une des principales motivations.

Même si elle a pris un engagement de carboneutralité pour 2060, la Chine se sait fortement dépendante des importations de pétrole et de gaz pour de longues décennies encore. On la dit, même aux prises depuis une quinzaine d’années avec une « obsession énergétique », en raison de sa dépendance – et vulnérabilité – envers un approvisionnement venu de l’étranger. C’étaient pourtant les États-Unis que l’on disait jadis pris d’une telle « obsession ».

Ainsi, comme les États-Unis à une certaine époque, la Chine oriente désormais une part importante de sa politique étrangère vers la sécurisation des sources et des routes d’approvisionnement en énergies fossiles.

Au début du siècle, Pékin a même adopté une politique intitulée « Going out », sorte de diplomatie du pétrole par laquelle le gouvernement chinois encourage les compagnies pétrolières nationales à mettre la main sur des hydrocarbures partout où ils se trouvent.

Et comme les États-Unis dans les années 1980, qui ont déployé des bases militaires au Moyen-Orient afin de sécuriser le détroit d’Ormuz où circule la majorité du pétrole de cette région, la Chine a grandement développé sa marine. Aussi pour sécuriser le passage des pétroliers dans le détroit de Malacca, en Asie du Sud-Est, par lequel transite l’essentiel de ses importations de pétrole.

Comment la Chine en est-elle arrivée là ? Au milieu des années 1990, à la faveur de sa formidable croissance économique, la Chine a connu une très forte augmentation de ses importations d’énergie fossile. Dans le cas du pétrole, ses importations ont été multipliées par cinq au cours des 20 dernières années, totalisant aujourd’hui 10 millions de barils par jour (2021), soit davantage que celles des États-Unis (huit millions, dont la moitié provient du Canada).

Résultat : sa consommation d’or noir est composée à 70 % de sources étrangères.

Cette période de grande dépendance énergétique est loin d’être terminée, puisque la Chine devrait connaître une année record en 2023 en termes d’importations de pétrole en raison de la fin du confinement sanitaire et de la reprise des transports.

Cette dépendance énergétique envers les hydrocarbures des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s’est ainsi accrue alors que celle des États-Unis a fortement décliné. Les Américains ont en effet beaucoup dépendu de l’OPEP jusque dans les années 2010 ; ils en importaient près de six millions de barils par jour en 2005. En 2021, ce chiffre avait chuté à moins d’un million, grâce à la révolution des hydrocarbures de schiste, ce qui a fait exploser la production nationale.

Après les États-Unis, c’est donc au tour de la Chine, en tant que grande puissance, de dépendre des énergies fossiles du Moyen-Orient. Une situation qui accroît considérablement les intérêts stratégiques de Pékin dans cette région.

L’Arabie saoudite devient dès lors un acteur incontournable ; elle est en effet devenue le principal pourvoyeur de pétrole de la Chine, avec presque 20 % de ses importations totales.

L’Iran représente aussi un intérêt certain pour Pékin. Malgré les sanctions occidentales qui frappent son pétrole en raison de sa volonté d’acquérir l’arme nucléaire, l’Iran demeure le quatrième producteur de l’OPEP en importance. Ses réserves de pétrole (les troisièmes au monde) et de gaz (au deuxième rang) sont un atout hautement stratégique pour la Chine sur le plan énergétique. Rivaux de longue date, Riyad et Téhéran souhaitent tous deux continuer de vendre leurs hydrocarbures aux Chinois, et ainsi enrichir à coups de milliards leur trésor public.

Sur le plan énergétique, ces trois pays possèdent des intérêts mutuels croissants, lesquels laissent peu de place au géant américain, autrefois acteur central au Moyen-Orient.

Comment cette convergence d’intérêts influencera-t-elle le prix du pétrole ? Une plus grande stabilité géopolitique entre les deux grands rivaux du golfe Persique est toujours une bonne chose pour le marché pétrolier, car tout risque géopolitique se répercute directement sur les prix.

Or, les deux puissances pétrolières ont des approches divergentes. Leader incontesté de l’OPEP, l’Arabie saoudite préconise généralement une gestion serrée de l’offre afin d’obtenir un prix relativement élevé, tandis que l’Iran souhaite vendre le plus de pétrole possible, puisque sa production a grandement fléchi depuis cinq ans en raison des sanctions et de la pandémie.

Reste à voir comment la Chine arbitrera les différends qui découleront de ces deux approches divergentes et de décennies de rivalité géopolitique.

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