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Quel avenir pour les enfants de la DPJ ?

Que deviennent les enfants qui se retrouvent sous la tutelle de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), une fois sortis du giron des services sociaux ? Pour la première fois, on aura des éléments de réponse à cette question. Martin Goyette, chercheur de l’École nationale d’administration publique (ENAP), mène une étude qui suivra à la trace pendant trois ans plus de 1000 enfants de la DPJ âgés de 17 ans. La Presse a obtenu la première vague de résultats de cette étude sans précédent, qui montre l’ampleur du défi qui attend ces jeunes.

Un dossier de Katia Gagnon

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Quatre jeunes placés sur cinq accusent un  retard scolaire

Seulement 17 % des 1136 jeunes de la DPJ âgés de 17 ans suivis par l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP) avaient atteint le niveau scolaire qui correspondait à leur âge, soit la cinquième secondaire. Le chiffre est inquiétant, puisqu’en comparaison, 75 % des jeunes Québécois du même âge avaient réussi à atteindre la cinquième secondaire, et c’était le cas également pour 53 % des jeunes issus de milieux défavorisés.

Quelque 16,2 % des participants à l’étude avaient carrément décroché au moment de la première série de rencontres avec les chercheurs. Plus du tiers (37 %) avaient connu au moins un épisode de décrochage. Ils accusaient un retard scolaire parfois important : 31 % d’entre eux avaient redoublé une année, 22 % avaient redoublé deux fois et 20 % avaient redoublé trois années ou plus. Près d’un jeune de 17 ans sur cinq (19 %) n’avait pas réussi à dépasser la deuxième secondaire au moment de cette première rencontre.

Dans la population en général, la majorité des jeunes (79 %) n’a jamais redoublé une année, et c’est le même scénario chez les jeunes issus de milieux défavorisés (60 %). « Chez les jeunes placés, ceux qui n’ont jamais repris une année sont la nette minorité », note l’étude.

« Ça parle fort, ces chiffres-là », dit le chercheur Martin Goyette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables, qui relève de l’École nationale d’administration publique (ENAP). « Quand j’ai vu ces chiffres, j’en ai pleuré », dit Jessica Côté-Guimond, qui fait partie du comité d’ex-jeunes de la DPJ qui a, tout au long de l’étude, épaulé le chercheur (voir autre texte).

La situation est d’autant plus crève-cœur que les jeunes interrogés semblent désirer faire des études. Près du tiers d’entre eux (27 %) veulent faire des études universitaires et près de 20 % veulent obtenir un diplôme technique de niveau collégial.

« Le niveau de diplomation versus les ambitions… ça a été un choc pour nous. La marche sera très haute pour eux. »

— Jessica Côté-Guimond, membre du comité d’ex-jeunes de la DPJ qui a épaulé le chercheur Martin Goyette

« Le milieu de placement combiné aux enjeux personnels ne permet pas la poursuite d’une scolarité qui leur permet d’avancer », estime M. Goyette. Or, la scolarité est un élément central de la préparation à la vie adulte. « Quand un éducateur travaille avec un jeune, il a tendance à gérer le quotidien, les comportements. Un des enjeux, c’est aussi de favoriser le lien avec le milieu de l’éducation. Souvent, on dit que les jeunes ne sont pas motivés, on ne veut pas qu’ils accumulent les échecs, alors on les pousse vers l’insertion au travail. Il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là. »

Les résultats montrent d’ailleurs que plus un jeune a perçu avoir été encouragé à poursuivre ses études au-delà du secondaire, plus il a tendance à avoir un haut niveau d’études terminées. « Les jeunes qui se sentent soutenus en tirent un bénéfice réel », en conclut l’étude.

Les jeunes satisfaits des services

Lorsqu’on leur demande comment ils évaluent leur expérience de placement sous la tutelle de la DPJ, près des trois quarts des jeunes interrogés (72 %) se disent assez ou très satisfaits. Plus de la moitié (55 %) disent que leur placement a été une chance, contre 16 % qui estiment qu’il ne s’agissait pas d’une bonne solution.

Cependant, le degré de satisfaction varie grandement selon la ressource où ils ont été hébergés. Une immense majorité des jeunes placés en famille d’accueil (85 %) se disent satisfaits des services reçus, contre seulement 53 % des jeunes placés en centre de réadaptation. Le chercheur observe également une différence significative entre les participants blancs – 73 % se disent satisfaits – et ceux issus de minorités visibles, excluant les Noirs (seulement 49 % de satisfaction). Ces derniers se disent satisfaits à peu près dans la même proportion que les participants blancs.

Estiment-ils être bien préparés à leur sortie ? Étonnamment, oui. Plus des deux tiers (69 %) se disent assez ou tout à fait prêts à partir, alors que 28 % se disent peu ou pas du tout prêts. Les deux tiers des jeunes interrogés savaient où ils allaient habiter après leur sortie des services de protection de la jeunesse.

Globalement, plus les jeunes sont satisfaits de leur expérience de placement, moins ils ont tendance à affirmer qu’ils se sentent prêts à quitter les services. « Ceux qui ont la perception que la DPJ a été un élément positif dans leur vie, ils sont heureux et voudraient poursuivre l’expérience », note le chercheur. Bref, ceux qui ont une perception positive du système de protection de la jeunesse « souhaiteraient pouvoir y rester ».

L’étude en bref

L’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP) suivra une cohorte de 1136 jeunes de 17 à 21 ans qui ont tous été placés par le système de protection de la jeunesse et sont, au début des travaux, sur le point de quitter leur milieu de vie substitut pour commencer une vie autonome. Les chercheurs rencontreront les jeunes à trois reprises au cours des prochaines années. Des ententes avec divers services gouvernementaux, comme celui de l’aide sociale, permettront de suivre leurs parcours dans ces différents services. Avec l’aide des résultats de l’Étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec (ELDEQ), qui suit depuis 1998 une cohorte représentative de l’ensemble des jeunes Québécois, on est en mesure de comparer les jeunes de la DPJ à la population jeune en général.

La DPJ en chiffres

34 000 

Nombre d’enfants qui ont été pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en 2018

40 % 

Proportion d’entre eux qui ont été placés en milieu substitut

2000 

Nombre de jeunes qui quittent les services de la DPJ chaque année

+ 11 %

Depuis 2015, le nombre de signalements retenus à la DPJ a augmenté de 11 %.

33 %

La négligence est le principal motif de signalement, avec 33 %.

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Trois jeunes femmes racontent leur vie après la DPJ

Le chercheur Martin Goyette a tenu, pour cette étude, à être épaulé à toutes les étapes des travaux par un comité formé de 12 jeunes qui ont tous connu une expérience de placement et veulent, par leur participation, améliorer les services offerts aux jeunes hébergés. Nous avons parlé à trois d’entre eux, qui ont raconté leur parcours.

Jessica Côté-Guimond

La DPJ est entrée dans la vie de Jessica Côté-Guimond en première année du primaire. Quatre ans plus tard, elle a été placée en famille d’accueil, mais les allers-retours entre sa famille biologique et les milieux de placement ont été très fréquents. Le fameux « ballottage », c’est un phénomène qu’elle connaît bien.

« J’ai été déplacée une vingtaine de fois. Et ça, c’est sans parler des écoles qui changeaient à chaque année… » Six familles d’accueil, six foyers de groupe, sept centres de réadaptation, Jessica a fait le tour complet des ressources offertes par les services sociaux.

Globalement, sa sortie des services s’est bien passée. Elle s’est retrouvée en appartement peu avant ses 18 ans. « Mais c’est sûr qu’il y a eu de la solitude… et on se sent jugé. » Aujourd’hui, Jessica a 29 ans. Elle étudie à l’université en psychoéducation. Elle a deux petites filles. Et la semaine dernière, elle a donné un atelier, en compagnie de ses collègues du comité-jeunes, à près de 115 cadres de la DPJ sur les résultats préliminaires de l’EDJeP. « On aurait aimé avoir un plus beau portrait, on aurait aimé dire que ça a changé. Mais on se rend compte que c’est exactement les mêmes problèmes qu’avant. »

Geneviève Caron

Au moment où elle a eu 18 ans, Geneviève Caron était hébergée par une famille d’accueil de Repentigny. Le jour de son anniversaire, on lui a souhaité bonne fête et on lui a donné les deux sacs poubelles qui contenaient ses effets personnels. Puis, elle est partie.

« Je vais me rappeler ce jour-là toute ma vie. »

C’était en avril. Elle allait à l’école. L’une de ses enseignantes lui a demandé ce qui se passait. « Elle ne voulait pas me voir dans la rue », se souvient Geneviève. L’enseignante l’a donc hébergée quelques jours. La jeune a par la suite été hébergée dans une ressource de Terrebonne. Puis elle est partie à Montréal et a entamé quatre années d’itinérance.

Geneviève a été placée à 11 ans parce que ses parents la maltraitaient. Ses grands-parents, chez qui elle a aussi séjourné, ont également perdu sa garde pour les mêmes raisons. Elle a, par la suite, séjourné dans pas moins de 14 familles d’accueil et un foyer de groupe.

Mais depuis presque un an, sa vie a changé. « J’ai mon logement, mon copain, mon chat. Honnêtement, je suis vraiment fière de moi ! » La jeune femme de 24 ans est même retournée aux études, à la formation pour adultes, dans le but de terminer ses deux dernières années de secondaire. Et c’est d’ailleurs ce qui la frappe dans les résultats récoltés par le chercheur Martin Goyette : la scolarité. « On ne m’a jamais encouragée à l’école. On m’a toujours dénigrée. Il faut qu’on les aide, ces jeunes-là ! »

Marcelle Partouche

Marcelle Partouche en veut encore aux services sociaux qui, estime-t-elle, ont très mal géré sa sortie. « Il y a eu une série d’erreurs administratives faites par les gens qui étaient responsables de mon dossier. Des erreurs pour lesquelles je paie encore aujourd’hui. J’ai l’impression qu’on m’a juste laissée tomber. »

La jeune femme a été placée de l’âge de 11 ans à 18 ans. Pendant quatre ans, elle s’est retrouvée sous la tutelle de son frère, mais ensuite a commencé la ronde des différents services. « Systématiquement, il fallait mettre notre vie dans des sacs poubelles. » Elle a fini par aboutir dans une famille d’accueil qui a conservé sa garde pendant deux ans. « Pour le placement, j’ai été chanceuse. »

Elle espère que ses travaux au comité des jeunes de l’étude EDJeP lui permettent de faire valoir les réelles aspirations des jeunes placés. « Ces jeunes, une bonne partie d’entre eux veut aller à l’université ! Quand on fait la comparaison avec les jeunes en général, et même avec les jeunes issus de milieu défavorisé, il y a tellement de différences dans la scolarité… »

Marcelle étudie actuellement dans un programme qui combine maîtrise et doctorat en anthropologie cognitive. Elle travaille aussi dans un organisme communautaire où elle est en contact avec des jeunes aux prises avec des troubles de santé mentale. Une partie d’entre eux a aussi un passé lié à la DPJ. « Quand je dis que, moi aussi, j’ai été en famille d’accueil, tout de suite, ça crée un lien de confiance. »

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