Guerre en Ukraine

Une victoire à la Pyrrhus pour les Russes ?

Moscou a essuyé de lourdes pertes à Bakhmout, dont la conquête n'a toujours pas été reconnue par Kyiv

Ce qu’il faut savoir

Les forces russes ont affirmé samedi avoir pris le contrôle de Bakhmout, théâtre de la bataille la plus meurtrière depuis le début de la guerre.

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a démenti, parlant au plus d’une victoire coûteuse pour les Russes.

Même en cas de victoire russe à Bakhmout, les experts estiment que cette coûteuse bataille pourrait bénéficier davantage aux Ukrainiens.

La prise de Bakhmout revendiquée par la Russie, si elle est avérée, serait une victoire en trompe-l’œil, estiment des experts. Les forces de Kyiv ont gagné du terrain autour de la ville et contraint l’adversaire à de coûteux combats juste avant une contre-offensive ukrainienne majeure.

Théâtre de la bataille la plus longue et la plus meurtrière de la guerre débutée en Ukraine en février 2022, Bakhmout est dévastée et la Russie affirme depuis samedi avoir pris les derniers quartiers qu’elle ne contrôlait pas encore.

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a toutefois assuré dimanche que la ville « n’est pas occupée » par les troupes russes, après une série de déclarations ambiguës sur la situation sur place. « Il n’y a rien dans cet endroit […], juste des ruines et beaucoup de Russes morts », a-t-il lancé en semblant suggérer que Bakhmout ne serait qu’une victoire à la Pyrrhus pour les Russes.

Selon le président des États-Unis, Joe Biden, qui s’exprimait au Sommet du G7 au Japon, entre les morts et les blessés, rien qu’à Bakhmout, la Russie a perdu 100 000 hommes.

Or, qu’elle soit vraie ou pas, cette victoire revendiquée n’apporte à la Russie aucun gain territorial significatif permettant de relancer son offensive ou de défendre ses positions, estiment les experts.

Défendre Bakhmout, le « bon choix »

Moscou a dû mobiliser beaucoup de troupes supplémentaires sur ce point du front alors que les forces ukrainiennes, elles, ont regagné du terrain sur plusieurs kilomètres au nord et au sud de la ville en mai.

Selon la vice-ministre de la Défense de l’Ukraine, les forces de Kyiv ont « encerclé partiellement » Bakhmout grâce à leur percée récente sur certains flancs tenus par des troupes régulières russes, ce qui rend, selon elle, « très difficile » la présence russe dans la ville.

Ces attaques sur les flancs de Bakhmout « ont forcé les troupes russes à allouer de précieuses ressources militaires […] comme le commandement ukrainien le souhaitait », estime le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW).  

« Les Ukrainiens avaient besoin, premièrement, d’affaiblir autant que possible les Russes avant leur contre-offensive et, deuxièmement, de gagner du temps pour être prêts », estime Phillips O’Brien, professeur d’études stratégiques à l’université écossaise de Saint Andrews.

« Ils ont calculé – et c’était le bon choix, selon moi – qu’en se battant à Bakhmout, ils pouvaient faire les deux », a-t-il ajouté, dans une interview samedi à la radio publique américaine NPR.

À quand une contre-offensive ?

Le calendrier et l’objectif de la grande contre-offensive ukrainienne alimentent les spéculations depuis des mois, Kyiv n’en ayant pratiquement rien dit, si ce n’est qu’elle avait besoin de plus d’armes.

Dans le même temps, la Russie a renforcé des centaines de kilomètres de lignes de front avec des concentrations de blindés, des tranchées et des troupes.

Comme les combats devraient avoir lieu après des livraisons significatives d’armes occidentales, le succès ou l’échec de la contre-offensive pèsera lourd sur la suite du conflit et le type de paix qui pourra être négociée.

Il est difficile de savoir si les renforts russes envoyés à Bakhmout ont créé des trous dans le dispositif russe, mais selon M. O’Brien, les Ukrainiens vont certainement tenter de prendre pour cible les points « où ils pensent que les Russes sont plus faibles ».

La contre-offensive ukrainienne tant annoncée dépend de multiples facteurs, y compris de la météo, après un printemps particulièrement pluvieux en Ukraine qui a laissé les sols gorgés d’eau par endroits.

Or, un terrain boueux n’est pas idéal pour des mouvements de troupes et de blindés lourds. Il est aussi difficile d’imaginer que l’opération puisse démarrer en l’absence du président Volodymyr Zelensky, actuellement en tournée internationale.

Sur le terrain, la nouvelle de la prise de Bakhmout a été accueillie avec scepticisme et des haussements d’épaules dans les rangs ukrainiens.

« Tout le monde essaie de savoir quand l’offensive va commencer », résume ainsi dans les environs de Kyiv le sergent Volodymyr, s’exprimant à condition de ne pas donner son nom de famille.

« Nous savons que nous avons l’équipement et les engins. Nous attendons juste la décision du commandement », dit-il, entre deux détonations dans un centre d’entraînement au tir proche de la capitale.  

Le chef en quête d’appuis

À l’offensive sur le front diplomatique, le dirigeant ukrainien a multiplié les déplacements à l’étranger ces dernières semaines, pour plaider sa cause et demander des armes plus lourdes. Il était notamment de passage au Sommet du G7, où il a été l’invité vedette samedi et a gagné une démonstration du soutien occidental.  

Il a ainsi engrangé notamment la promesse de davantage de missiles du Royaume-Uni et de nouvelles livraisons d’armes pour plusieurs milliards d’euros de l’Allemagne, tandis que le soutien européen s’accentue.

Le Sommet du G7 se terminant, M. Zelensky pourrait être rapidement de retour en Ukraine.

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