La biodiversité ? Pas dans ma cour !

Jusqu’à quel point les municipalités peuvent-elles se mêler de ce qui se passe sur votre terrain afin de protéger la nature ?

C’est la difficile question à laquelle nous faisons face à la suite de récentes décisions juridiques. Des décisions qui opposent le droit de jouir de sa propriété privée au devoir collectif de protéger la nature, et parmi lesquelles les villes du Québec disent avoir de la difficulté à voir clair.

Ce flou, c’est maintenant à Québec de le dissiper. Le gouvernement provincial doit préciser ses lois afin que les municipalités sachent ce qu’elles peuvent faire et ce qu’elles ne peuvent pas faire au nom de la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Sinon, la peur des poursuites risque de paralyser les villes et de les empêcher de remplir leurs obligations environnementales. C’est notre qualité de vie et le développement harmonieux de notre territoire qui sont en jeu.

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Ce qui déclenche ces questions est une chicane de terrain survenue à Mascouche. Une chicane qui a fini par prendre des proportions provinciales.

L’histoire commence en 1976 quand Ginette Dupras achète à sa tante, pour un dollar, un lot boisé grand comme 14 terrains de soccer. À l’époque, la réglementation permet un usage résidentiel sur 70 % du boisé. Le reste est zoné « conservation ».

Mme Dupras ne lotit pas le terrain. En 2006, la Ville de Mascouche adopte un changement de zonage qui fait passer la totalité des lieux en mode conservation. Les usages du terrain s’en trouvent grandement limités. Mme Dupras peut y exploiter une cabane à sucre ou faire des activités récréatives, par exemple, mais pas y ériger des bâtiments.

La citoyenne affirme être victime d’une « expropriation déguisée » et exige une compensation. La Cour supérieure, puis la Cour d’appel lui donnent essentiellement raison.

L’affaire attire alors l’attention d’une myriade d’organisations. La Fondation David Suzuki, Nature Québec, l’Union des municipalités du Québec et la Communauté métropolitaine de Montréal, notamment, demandent à la Cour suprême de se pencher sur l’affaire.

La semaine dernière, la Cour suprême a refusé d’entendre la cause. On ignore pourquoi, mais notons qu’elle se penche actuellement sur une affaire similaire survenue en Nouvelle-Écosse.

Que penser du litige ?

Instinctivement, on peut avoir l’impression qu’un citoyen devrait pouvoir faire ce qu’il veut chez lui. C’est un raccourci. Même en ville, vous ne pouvez pas couper un arbre ou agrandir votre propriété sans l’accord de votre municipalité. Et c’est normal.

Par le passé, les tribunaux ont validé le droit des municipalités de protéger des milieux humides ou des bandes riveraines situés sur des terrains privés. C’est ce qui explique la surprise du monde municipal devant la décision de Mascouche. Les villes ont des obligations de protéger le territoire, mais craignent maintenant qu’il faille débloquer des fortunes en dédommagement si elles veulent les remplir.

Certains juristes incitent à la prudence. Chaque cas est unique, disent-ils, et ce n’est pas parce que les tribunaux ont donné raison à Ginette Dupras qu’ils accorderont des dédommagements à chaque citoyen qui conteste un changement de zonage.

C’est vrai.

Mais les municipalités n’ont pas toutes des équipes d’avocats capables d’analyser les subtilités juridiques. Il existe un risque réel que l’affaire Mascouche ait l’effet d’une douche froide et que la peur des poursuites rende les villes beaucoup plus réticentes à agir au nom de l’environnement.

Heureusement, cela n’a pas échappé au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Ce dernier promet d’analyser l’affaire Mascouche, notamment dans le cadre des travaux entourant la mise en œuvre de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, adoptée en juin.

Tant mieux. Il faut que les villes sachent jusqu’où elles peuvent aller pour remplir leurs obligations environnementales. Ça ne veut pas dire de leur donner tous les pouvoirs. Ça veut dire chasser l’incertitude qui pousse à l’inaction. Parce que si on veut préserver les rares espaces verts qui subsistent encore dans le sud du Québec, c’est de l’action dont on a besoin.

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