Quand un pêcheur sénégalais grimpe dans une pirogue de nos jours, il n’est pas rare que ce soit la dernière fois, soit parce qu’il part chercher une nouvelle vie en Europe, soit parce que le voyage tourne mal.
À Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, des dizaines de pirogues tirées sur le rivage ont été abandonnées par des travailleurs de la mer, qui ont pris la route de l’Europe « parce que le poisson est devenu trop rare et qu’ils n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins », affirme Ibrahima Diouf, solide pêcheur d’une quarantaine d’années.
Depuis des années, des milliers de Sénégalais s’embarquent clandestinement sur des pirogues en bois qui peuvent atteindre une vingtaine de mètres et transporter des dizaines de passagers.
Il en coûte quelques centaines de milliers de francs CFA (1000 FCFA équivaut à 2,25 $ CAN) par tête, laissés à un passeur. Ils défient les dangers d’une traversée d’environ 1500 kilomètres pour atteindre l’archipel espagnol des Canaries, débarcadère de l’Union européenne au bout de sept ou dix jours de navigation.
Il passe à peine un jour sans que ne soit rapporté au Sénégal une arrivée aux Canaries, une interception, ou un naufrage. Différents interlocuteurs disent que beaucoup de ces migrants sont des pêcheurs ou des habitants des localités qui jalonnent les centaines de kilomètres de côtes sénégalaises et qui dépendent fortement de la pêche.
Ces communautés paient le prix de la raréfaction du poisson, sous l’effet de la surpêche, de la concurrence des armements industriels, de la pêche illégale et du réchauffement climatique.
En plus des jeunes qui espèrent laisser derrière eux pauvreté et chômage, « on trouve aujourd’hui des femmes […] il y a des enfants, il y a des travailleurs », dit Boubacar Sèye, président de l’ONG Horizons sans frontières (HSF), vouée aux migrants.
Trame nationale
La pêche occupe une place spéciale au Sénégal : 3,2 % du PIB, plus de 10 % des exportations et peut-être jusqu’à 600 000 emplois directs ou indirects, pour une population de 18 millions, dit un rapport du département américain de l’Agriculture. Elle fait partie de la trame nationale.
L’AFP n’a pas connaissance de statistique globale de cette migration clandestine, du nombre de Sénégalais interceptés sur la route des Canaries et des pêcheurs parmi eux.
Mais les Sénégalais sont les plus représentés avec les Marocains parmi les migrants arrivés en nombre record aux Canaries cette année, selon des ONG espagnoles et l’agence européenne Frontex.
La Marine sénégalaise, à elle seule, disait fin octobre avoir stoppé en deux semaines 26 pirogues transportant plus de 3800 candidats à l’émigration, sénégalais, gambiens, guinéens ou maliens.
— Agence France-Presse