Données des services correctionnels du Québec

Une classification raciale des détenus jugée « dénigrante »

Un détenu a-t-il le teint « pâle », « clair », « moyen » ou encore « foncé » ?

Utilisés à l’interne par les Services correctionnels du Québec (SCQ), sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique, ces termes confondent des chercheurs.

« C’est très bizarre, je n’avais jamais vu ça auparavant, explique Pierre Tircher, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Il y a des manières de catégoriser les gens sur leur origine ethnique, leur couleur de peau, sans utiliser ces termes-là. C’est assez particulier de voir ça. »

M. Tircher est coauteur du tout nouveau rapport intitulé Le profil des personnes judiciarisées au Québec. Grâce à une demande d’accès à l’information, il a obtenu une série de données sur les détenus de la part des SCQ.

« Quand j’ai reçu les données, j’éprouvais un certain inconfort à les utiliser, simplement parce que je n’ai pas envie de compter les “foncés”, dit-il. Il y a un côté un peu dénigrant dans cette manière de classifier les gens. D’abord, qu’est-ce qu’on entend par “moyen” ? Quelle est la différence entre “pâle” et “clair” ? »

« Ça peut ressembler à de la discrimination. »

— Pierre Tircher, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques

L’Institut de la statistique du Québec et Statistique Canada utilisent des méthodes de classification des minorités visibles et de la couleur de peau qui sont plus précises, et qui offrent l’avantage de pouvoir être comparées avec les données des autres provinces, note-t-il.

À des fins d'identification

Marie-Josée Montminy, relationniste à la direction des communications du ministère de la Sécurité publique, explique que cette indication n’est pas utilisée par les SCQ à des fins de classification ou de classement des personnes incarcérées, ni même à des fins statistiques ou d’analyse.

« Il s’agit d’un indicateur présent au système informatique de gestion des contrevenants, le système DACOR (Dossier administratif correctionnel), depuis sa mise en fonction en 1987. »

L’information récoltée est consignée à des fins d’identification des personnes confiées aux services correctionnels, au même titre que des signes distinctifs (ex. : description d’un tatouage, présence de cicatrices, d’un perçage ou d’une tache de naissance, etc.) et d’autres caractéristiques physiques comme la couleur des yeux et des cheveux, note le Ministère.

« Ces informations servent notamment à identifier la personne au moment de sa libération et peuvent s’avérer particulièrement utiles dans l’éventualité où une description doit être transmise aux services policiers, par exemple à la suite d’une évasion. »

— Marie-Josée Montminy, relationniste à la direction des communications du ministère de la Sécurité publique

Pierre Tircher note que les SCQ ont des données « très fiables » à l’égard des populations autochtones. « Les nations sont catégorisées de manière très précise. Donc, dans certains cas, ils suivent les pratiques officielles, et dans d’autres, non », dit-il.

Personnes racisées surreprésentées

Dans le rapport Le profil des personnes judiciarisées au Québec, les chercheurs ont également réalisé que les personnes racisées étaient surreprésentées de façon « troublante » chez les détenus.

Par exemple, les autochtones représentent près de 7 % des personnes admises par les SCQ en 2019-2020, alors qu’elles ne sont qu’environ 2 % de la population québécoise.

Parmi les personnes autochtones admises, 41 % étaient des Inuits, qui ne comptent pourtant que pour 19 % de la population autochtone totale dans les communautés, notent les chercheurs.

« La majorité écrasante (+ de 84,5 %) des nouveaux admis sont peu scolarisés, c’est-à-dire qu’ils et elles mentionnent avoir une scolarité de niveau secondaire ou primaire », écrivent-ils.

Ces populations déjà marginalisées souffrent davantage des effets de la judiciarisation, notamment sur leurs perspectives d’embauche – alors qu’il est démontré que décrocher un emploi fait chuter le taux de récidive, dit M. Tircher.

« Discriminer sur la base des antécédents judiciaires est interdit à moins qu’il y ait un lien entre le poste pour lequel on postule et la faute commise, mais lorsqu’on est en entretien d’embauche et qu’on nous demande si on peut vérifier nos antécédents judiciaires, c’est quand même très difficile de dire non », dit-il.

Travailler en amont et réduire la judiciarisation des personnes en situation de pauvreté ou marginalisées pourrait faire en sorte qu’elles demeurent employables. « Pourtant, à Montréal, des changements dans la réglementation municipale ont augmenté la judiciarisation de ces personnes-là. On utilise des moyens judiciaires pour essayer de régler des enjeux sociaux. »

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