Fondation Grantham-Anahita Norouzi

Quel regard sur la migration… des plantes ?

L’artiste montréalaise d’origine iranienne Anahita Norouzi a profité de sa résidence d’un mois à la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement pour parachever sa réflexion sur le conflit existant entre hospitalité et prudence quand il s’agit de plantes migrant au Québec. Son exposition Jardin trouble vaut une visite à Saint-Edmond-de-Grantham, près de Drummondville.

L’exposition Jardin trouble : étude d’un enracinement découle d’un travail sur les dimensions écologiques, culturelles et sociales des questions migratoires sous l’angle des plantes non indigènes du Québec. La diversité végétale doit-elle primer ? Doit-on la réguler pour protéger des plantes locales parfois plus fragiles ? À partir de quand une plante exogène devient-elle canadienne à part entière ? Qu’est-ce qu’une « mauvaise » herbe ?

Telles sont les questions que soulève l’exposition pour laquelle l’historienne de l’art Bénédicte Ramade a agi à titre de commissaire.

Bénédicte Ramade estime qu’on ne voit plus les herbes sauvages de la même façon après avoir vu cette expo qui relate l’épopée des plantes allochtones au Québec dont certaines ont la réputation d’être des espèces invasives.

Ce qui fait qu’on n’est souvent pas loin du réquisitoire contre des plantes dites étrangères qui subissent le même rejet que des immigrants illégaux !

La Berce de Perse

Passionnée par les questions sociales et politiques, l’artiste née en Iran s’est penchée sur l’aventure de la Berce de Perse – de son nom latin Heracleum persicum – plante de la famille des ombellifères, tout comme le céleri-rave. Connue en Iran pour ses qualités gustatives, elle est utilisée comme épice (ses graines ayant été séchées et broyées), par exemple avec du yogourt, et on lui donne alors le nom de golpar. Elle est connue pour ses pouvoirs cicatrisants, digestifs ou antiseptiques. La Berce de Perse est arrivée au Canada par bateau, après la Seconde Guerre mondiale, et s’est bien adaptée au climat nordique.

Pourtant, la Berce de Perse fait l’objet d’un plan d’éradication. Son problème : elle est la cousine de la berce du Caucase, beaucoup plus invasive et dont la sève provoque des brûlures quand on s’y frotte. « Ce qu’on oublie de dire, c’est que les sèves de toutes les ombellifères, comme le céleri ou la carotte, ont un effet photo-toxique », dit Anahita Norouzi, qui estime qu’on met, à tort, les deux berces dans le même panier !

Se rappelant ses promenades avec sa grand-mère dans les montagnes au nord de Téhéran pour ramasser des graines de Berce de Perse, Anahita Norouzi est partie à la recherche de la plante et n’en a trouvé qu’un seul spécimen. « Comme quoi le combat qu’on lui mène est hystérique, car on ne la trouve pas partout », dit l’artiste qui l’a reconstituée avec 11 moulages qui permettent de distinguer sa forme délicate et sa hauteur.

L’expo comprend l’installation All Our Relations. Un tapis persan y joue le rôle d’un jardin près d’un téléviseur qui montre un homme en train de faucher la plante maudite en Grande-Bretagne. C’est pourtant ce pays qui a favorisé son expansion en la sortant d’Iran au XIXe siècle, à l’époque de la colonisation, pour décorer les appartements de la Cour. Ces images d’éradication heurtent Anahita Norouzi, qui estime que la guerre menée à cette plante est irrationnelle. Une autre vidéo illustre d’ailleurs le combat qu’on lui mène au Québec, avec des drones pour la repérer.

Réhabilitation

À l’entrée de l’exposition, un moment de concentration s’impose auprès d’une installation qui résume les recherches d’Anahita Norouzi sur les traces de la Berce de Perse. Une carte précise son émigration en Europe et en Amérique. Une photo montre la bouteille que sa grand-mère utilisait pour des marinades avec des tiges de Berce de Perse qui ressemblent beaucoup à du céleri.

L’artiste n’a pas fait pousser de Berce de Perse à la Fondation, mais elle permet de l’admirer grâce à la réalité augmentée. C’est effectivement une belle plante. Ses inflorescences (ou ombelles) évoquent bien des ombellifères que l’on croise dans les champs au Québec. Certaines carottes, des céleris et le fenouil ont des ombelles semblables. Anahita Norouzi a appris, par ailleurs, que des Abénakis utilisent les feuilles de la berce laineuse pour concocter un condiment. Elle espère qu’on révisera le jugement porté sur la Berce de Perse pour l’accueillir dans la pharmacopée et la gastronomie canadiennes.

« C’est à se demander si les Premières Nations sont aussi intolérantes que nous envers des espèces d’abord invitées, qui ont pris leur liberté et puis là, tout d’un coup, elles ne sont plus bienvenues », lance Bénédicte Ramade. La commissaire reconnaît que la Berce du Caucase est problématique, surtout dans les écosystèmes affaiblis, pollués. C’est une plante « opportuniste » qui envahit notamment les berges défrichées des rivières. « Mais plus il y a de la diversité et plus il y aura de la résistance à leur invasion », dit-elle.

« Plutôt que de mener une guerre, l’hospitalité couplée à un certain contrôle de ces populations serait préférable. D’autant qu’après une certaine période, la plante exogène devrait faire partie de la famille, non ? »

– Bénédicte Ramade, commissaire

Voici une exposition fascinante sur notre façon de traiter la nature et par extension les questions d’immigration. Elle est accompagnée d’un cahier (offert) qui permet aux non-botanistes de bien saisir les questions soulevées, avant de s’aventurer au cœur de Jardin trouble. Encore un beau sujet à découvrir à la Fondation, créée par Bernard Landriault et Michel Paradis en 2018. Qui démontre une fois de plus la grande pertinence de l’organisme.

Jusqu’au 26 juin

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