Un tarif pour les grosses cabanes ?

Faut-il imposer un tarif électrique spécial aux propriétaires de grosses cabanes ? En cette ère où les surplus d’Hydro-Québec disparaissent progressivement, la question devient plus pertinente.

Pour assouvir leurs besoins, un nombre important de propriétaires se dotent d’entrées électriques de 320, voire 400 ou 600 ampères, soit bien au-delà des 200 ampères habituels ou moins. Ces ampères servent à alimenter les cuisinières à induction, les spas, les piscines chauffées, les voitures électriques et tout le reste.

La PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, a d’ailleurs fait allusion, dans une récente conférence, à ces grosses cabanes qui vont jusqu’à chauffer leur entrée de garage…

D’où la question : ne devrait-on pas facturer les proprios de « Monster House » pour qu’ils soient incités à réduire leur facture et paient une part plus équitable pour leur consommation électrique ? Et même, ne devrait-on pas établir une tarification progressive pour le secteur résidentiel selon la puissance consommée, par exemple lors des périodes de pointe ?

Cette suggestion, simple en apparence, exigerait une refonte majeure. Actuellement, Hydro-Québec impose une facture selon le niveau d’énergie consommée, mesuré en kilowattheures (kWh). Le tarif est de 6,32 ¢/kWh pour les 40 premiers kilowattheures et 9,75 ¢ par la suite.

Le hic, c’est que les grosses cabanes ne posent pas tant problème quant à l’énergie consommée, qui engraisse les coffres d’Hydro-Québec, mais plutôt en raison de la puissance demandée à un moment précis dans le temps. Par exemple, le réseau est très fortement sollicité les matins d’hiver, lorsque les familles, en très peu de temps, haussent leurs thermostats, activent leurs douches, utilisent leurs cuisinières, etc.

Hydro-Québec doit s’assurer d’avoir suffisamment de puissance pour alimenter tout son réseau pour ces moments précis, même si cette demande de pointe ne dure qu’une centaine d’heures par année. Ces 100 heures coûtent extrêmement cher à la société d’État, qui doit parfois acheter de la puissance à l’extérieur. D’où l’idée de facturer pour cette puissance maximale demandée (kilowatt ou kW) par les grosses cabanes, qui s’ajouterait à leur tarif pour l’énergie (kWh), comme c’est le cas dans le secteur industriel.

En 2021, plus de 890 000 clients résidentiels ont eu besoin, à un moment dans la journée, de plus de 15 kW, ce qui est beaucoup de puissance. Ces clients représentent le quart des clients résidentiels d’Hydro (23,8 %).

Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, estime qu’il est essentiel de tarifer selon la puissance pour deux raisons. L’économiste en énergie ajouterait un tarif mensuel non seulement pour les grosses cabanes, mais aussi pour toute consommation au-delà de 10 kW de puissance. À ce niveau, 62 % des clients résidentiels seraient touchés.

D’abord, cette tarification inciterait les clients à réduire les coûteux appels de puissance durant la pointe, en améliorant leur isolation, notamment. Ensuite, elle permettrait à Hydro-Québec de découpler les mesures d’efficacité énergétique de ses tarifs.

Selon M. Pineau, Hydro a le double rôle incompatible d’empocher des revenus de ses clients, mais aussi de les inciter à économiser, ce qui fait diminuer ses revenus. Une tarification basée sur la puissance casserait cet effet, dit M. Pineau.

Actuellement, les clients qui appellent plus de 50 kW de puissance durant un mois donné, comme certaines fermes, doivent payer un surplus de 6,11 $/kW (et non pas cents par kilowatt) pour la portion qui dépasse ce seuil. Auquel s’ajoute une possible facture pour les 11 autres mois.

« La littérature économique dit que c’est LA chose à faire », dit M. Pineau.

Chez Hydro, on voit les choses différemment. « Pour que le signal de prix soit efficace, il doit être compris », m’explique-t-on. Or, les clients qui font des appels de puissance importants hors pointe, comme un mardi après-midi, seraient frappés par un tel tarif alors qu’Hydro n’a pas besoin de cette puissance.

Autre problème : de nombreuses maisons consomment beaucoup de puissance parce qu’elles sont vieilles et mal isolées, ce qui n’est pas le cas de Monster House, bien souvent. Et 40 % des clients résidentiels sont des locataires, avec un compteur dédié.

Ces clients sont souvent incapables de faire baisser significativement leur consommation (le locataire ne peut isoler les murs), et une tarification à la puissance les pénaliserait sans résultats.

Hydro-Québec préfère faire la promotion de son produit domotique Hilo, qui permet à la société d’État d’abaisser les thermostats à distance en période de pointe après accord du client, et moyennant récompense. Ou encore miser sur la tarification dynamique, dont l’une des options (Flex D) réduit le tarif hors pointe (à environ 5 ¢/kWh) des clients volontaires, mais le dope durant les 100 heures de pointe (à 52 ¢/kWh).

Pour la seule année 2021-2022, Hilo et la tarification dynamique ont permis à Hydro d’économiser 157 MW, soit davantage que les 134 MW prévus. Et la cible pour 2028-2029, dans 7 ans, est de 992 MW (plus du tiers avec Hilo).

Ce volume est significatif : c’est la puissance requise pour alimenter près de 360 000 maisons ou encore presque l’équivalent de la centrale Manic 2 (Jean-Lesage), de 1229 MW.

Comme en France et en Californie

Pierre-Olivier Pineau n’en démord pas. « La technologie permet aujourd’hui aux ménages de gérer leur puissance, comme le font les industriels », dit-il. Quant aux locataires, Hydro et le gouvernement peuvent fortement inciter les propriétaires à mieux isoler les logements, croit-il, ce qui permettrait aux locataires de réduire leur facture et éventuellement aux propriétaires de pouvoir hausser leurs loyers.

En France et en Californie, la tarification qui tient compte de la puissance fonctionne tous les jours de l’année, et non pour une centaine d’heures comme avec Hydro-Québec. Surtout, le système ne fonctionne pas par adhésion volontaire des clients (opt-in), comme pour Hydro-Québec, mais par option de retrait (opt-out).

« Hydro fuit ce genre de tarification comme la peste, car elle veut éviter des plaintes de ses clients », avance M. Pineau.

Bref, pour l’instant, pas de plan précis pour tarifer la puissance des grosses cabanes… Eh bien !

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