Course à la présidence

Rodolfo Hernández, le candidat antipoliticien

Il s’est autoproclamé roi de TikTok. Il est connu pour son franc-parler. Il s’est lancé en politique en rejetant… la politique.

Rodolfo Hernández détonne sur la scène politique colombienne. L’homme de 77 ans a causé la surprise en se qualifiant pour accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle du 19 juin contre Gustavo Petro, jusqu’alors donné grand favori.

Le singulier candidat pourrait changer la donne.

« Dans les derniers sondages, on pouvait voir que M. Hernández commençait à remonter dans les intentions de vote, mais on ne s’y attendait pas, parce que depuis un an, les sondages montraient toujours Gustavo Petro à la tête et ensuite, des candidats de droite. »

— Juan Manuel Morales, étudiant au doctorat en science politique à l’Université de Montréal

Rodolfo Hernández n’était pas perçu comme un candidat sérieux, ajoute M. Morales.

Ses vidéos TikTok, où il s’amuse parfois avec les montages vidéo et la musique, vêtu de polos Lacoste aux couleurs éclatantes, rejoignent plus d’un demi-million d’abonnés, à qui il parle directement.

Rodolfo Hernández a séduit 28,5 % des électeurs. Un deuxième tour est nécessaire puisqu’aucun candidat n’a obtenu 50 % des voix, Gustavo Petro en ayant récolté 40,3 %.

Trump colombien

Avec ses phrases-chocs et ses positions anti-establishment, M. Hernández, qui a fait fortune dans l’immobilier, est souvent comparé à l’Américain Donald Trump.

Comme lui, le millionnaire colombien a emprunté un chemin inusité pour devenir candidat présidentiel. Il n’hésite pas à taxer les politiciens de « voleurs ».

Mais le Tiktokero semble moins conservateur dans ses positions sociales que le républicain américain.

« La comparaison avec Donald Trump ou [le Brésilien Jair] Bolsonaro a un certain sens, mais je crois qu’il ne faut pas l’exagérer parce que Rodolfo Hernández n’est pas un homme politique d’extrême droite. Il y a une discussion même pour savoir si c’est vraiment un homme politique. Il se présente comme un outsider, comme un ingénieur. »

— Yann Basset, professeur de science politique à l’Université du Rosario, à Bogotá

Il estime pouvoir mener le pays comme une entreprise.

Scandales

Il a déjà tâté le terrain en étant maire de Bucaramanga, une ville d’un peu plus d’un demi-million d’habitants, de 2016 à 2019.

Les scandales l’ont éclaboussé – et les responsables de la campagne de M. Petro risquent d’exploiter ses frasques dans les prochaines semaines. S’il se présente aujourd’hui comme un champion anticorruption, l’ancien maire a été inculpé d’avoir favorisé une entreprise d’un de ses quatre fils lorsqu’il était en poste.

Il a aussi été démis de ses fonctions pendant trois mois pour avoir giflé un conseiller municipal.

La claque a été récupérée par M. Hernández dans un slogan de campagne, alors qu’il invitait les électeurs à « donner une gifle à la corruption ».

« On lui reconnaît le fait qu’il a ouvert un peu les marchés publics dans sa ville, qui étaient cartelisés avant son arrivée, précise M. Basset. Donc il a quand même quelque chose à montrer là-dessus, mais il a aussi un scandale de corruption. C’est une personnalité assez controversée, avec un style assez autoritaire, un langage un peu populaire, voire franchement vulgaire, qui plaît beaucoup. »

Peur de la gauche

Rodolfo Hernández reste attrayant pour une partie de la population, dégoûtée par la classe politique, dans un pays marqué par un demi-siècle de conflits et une paix fragile signée en 2016, qui n’a pas mis fin à toute la violence. Lui-même a vécu le cauchemar de bien des Colombiens, lorsque sa fille adoptive a été enlevée en 2004 par des guérilleros de l’ELN, un groupe d’extrême gauche, qui réclamait 2 millions de dollars pour sa libération.

L’homme d’affaires a refusé de payer et sa fille n’a jamais été retrouvée. Elle est présumée morte.

Il pourrait aussi marquer des points parce que son adversaire, l’ancien guérillero et ex-maire de Bogotá Gustavo Petro, effraie une partie de la population.

La Colombie n’a jamais été gouvernée par un dirigeant d’une gauche encore associée au communisme, aux guérillas et au chavisme du Venezuela, pays voisin en grave déroute économique.

« Il y a beaucoup de gens dans la société colombienne qui vont voter pour Hernández pas nécessairement parce qu’ils sont d’accord avec ses propos – peut-être qu’ils ne le connaissent même pas –, mais juste parce qu’ils vont voter contre Petro », illustre M. Morales, qui rappelle les assassinats passés de candidats de gauche.

« Les prochains jours seront décisifs pour déterminer l’avenir du pays », a réagi M. Hernández à l’annonce des résultats du premier tour.

Alors que l’issue du deuxième tour est difficile à prédire, M. Morales craint la suite.

« Si c’est un résultat très serré, il y a des risques que le candidat qui ne gagne pas accuse l’autre ou le gouvernement de fraude électorale, ça pourrait déstabiliser un peu le pays, note-t-il. Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce qui va se passer, pas juste par rapport aux élections, mais à la situation dans le pays. »

— Avec Agence France-Presse

50,8 millions

Population de la Colombie

Source : Banque mondiale

5,4 millions

Voix récoltées par Rodolfo Hernández au premier tour

Source : Agence France-Presse

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