Démystifier la parentalité à mobilité réduite

Thomas avait 16 mois lorsque sa mère, Marjorie Aunos, a été victime d’un grave accident de voiture qui l'a laissée paraplégique. Dix ans plus tard, dans le cadre de la Semaine nationale de l’accessibilité, qui se déroule jusqu’au 3 juin, Marjorie Aunos a choisi de raconter son histoire. Elle veut rendre visible l’inimaginable : une vie de famille riche, satisfaisante et à mobilité réduite.

Lorsque son fils avait 5 ans, Marjorie Aunos s’est sentie prête pour leur première aventure à deux : se rendre à une fête d’anniversaire. Ça peut sembler banal, mais pas pour eux. « C’était vraiment un beau moment entre lui et moi. Oui, il a fallu que je lui explique, oui, il m’a fallu décrire ce qu’on allait faire, étape par étape, mais on a réussi ! », raconte-t-elle.

L’adaptation à sa nouvelle condition a été difficile pour cette femme débrouillarde et indépendante. Psychologue clinicienne, professeure associée d’université, gestionnaire dans un établissement communautaire, c’est seule et par insémination artificielle qu’elle a choisi d’avoir son enfant. Moins de deux ans plus tard, le drame allait changer toute sa vie.

« Quand je me suis réveillée à l’hôpital et que j’ai réalisé que je ne sentais plus mes jambes, j’ai eu un gros choc. J’ai eu très peur de ne pas pouvoir élever mon fils. »

— Marjorie Aunos

Après six mois de réadaptation, elle a réintégré son logement, inadapté à sa nouvelle réalité. Sa mère est alors devenue « ses bras et ses jambes », se souvient-elle. « Par exemple, pour donner le bain, c’était ma mère qui lavait mon fils, mais sous mes directives. Ça donnait l’idée à Thomas que c’était maman qui donnait le bain, même si ce n’est pas elle qui le faisait physiquement », cite-t-elle en exemple.

Un trou dans l’offre de services

Marjorie Aunos se considère comme chanceuse d’être si bien entourée. Aujourd’hui, elle habite dans un duplex multigénérationnel, au jardin égayé de lys jaunes et de fines herbes, avec ses parents vivant dans l’appartement du dessus. La maison a été conçue par un architecte sur les conseils de son ergothérapeute, grâce à l’indemnisation de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Deux ascenseurs et un monte-escalier lui permettent d’accéder aux étages, les comptoirs et éviers sont abaissés, la porte du four s’ouvre latéralement. Une Honda Odyssey adaptée lui permet une plus grande indépendance.

Malgré tout, le quotidien demeure empli d’obstacles. Des trottoirs fissurés dans les parcs, l’absence de rampes d’accès dans les écoles et les arénas, le manque de stationnements réservés aux personnes handicapées dans les piscines municipales l’embêtent.

« Ce sont toutes des petites choses dont on ne s’aperçoit pas comme société, parce qu’on ne s’imagine pas que des personnes en situation de handicap puissent être parents. »

— Marjorie Aunos

Une recherche récente de l’Université de Montréal (UdeM) a montré que peu de services au Québec s’adressent à cette parentalité. « C’est comme si ces personnes-là tombaient entre deux chaises », explique Carolina Bottari, chercheuse principale et professeure à l’École de réadaptation de l’UdeM. Par exemple, un enfant handicapé va recevoir des services en pédiatrie, et le parent pourra recevoir des services à domicile. Mais pour tout ce qui concerne les garderies adaptées et le transport accessible, il y a un trou, souligne la chercheuse.

Les enjeux financiers font également partie du problème, selon la doctorante Evelina Pituch, associée au projet. « Pour les enfants qui sont en situation de handicap, on peut aller chercher un supplément de revenu, mais lorsque c’est un adulte en situation de handicap, il n’a pas accès au même revenu », note-t-elle.

Depuis janvier 2021, la France a élargi sa Prestation de compensation du handicap pour y inclure les besoins parentaux. Au Québec, une seule clinique pour parents handicapés existe, la Clinique Parents Plus, et elle est loin de répondre à tous les besoins. « Les parents en situation de handicap qu’Evelina Pituch a rencontrés en avaient gros sur le cœur. Souvent, ils nous répondaient : “Mais quels services ?” », résume Carolina Bottari.

Des familles débrouillardes

La réalisatrice Annie Leclair suit depuis 10 ans le parcours de trois mères handicapées pour son documentaire en développement, Affranchies. Le rôle parental permet à ces femmes de dépasser leurs limites et de les transcender, croit-elle. « C’est différent pour chacune, mais elles ont développé une assurance tellement profonde [en leurs moyens] », observe-t-elle.

Pour Marjorie Aunos, il est important de souligner que les enfants de parents handicapés ne sont pas traumatisés. Amour, ténacité, débrouillardise et créativité sont des forces de sa famille. « Ce n’est pas parce que j’ai besoin d’aide pour laver la tête de mon fils que je ne suis pas une bonne maman », souligne-t-elle.

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