Pike River

Un écosystème à créer de toutes pièces

Combien de temps faut-il pour transformer une ancienne terre agricole en écosystème forestier riche et diversifié mieux adapté aux changements climatiques ? C’est la question à laquelle tente de répondre une équipe de recherche de l’UQAM qui mène une expérience inusitée à Pike River, en Montérégie.

Sur le chemin Molleur, à Pike River, entre des champs de maïs et la rivière aux Brochets, on retrouve un conteneur au nom de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Juste à côté, un chantier où l’on érige un pont pour assurer le prolongement de l’autoroute 35 dans le sud de la province.

C’est ici que l’équipe du chercheur Daniel Kneeshaw, de l’UQAM, a commencé l’an dernier un projet de recherche qui vise à créer tout un écosystème forestier à la place d’un ancien champ de maïs. Un projet financé par le ministère des Transports du Québec, qui s’est engagé à compenser la perte de milieux naturels dans le cadre du prolongement de l’autoroute 35.

Le terrain d’environ 1 hectare était occupé par un champ de maïs il y a deux ans. On y retrouve déjà des papillons monarques, des grenouilles léopards, des chênes bicolores, des érables argentés, des caryers, des plants d’asclépiades, d’iris de Virginie et de trilles blancs.

« L’objectif est de recréer un écosystème forestier rapidement », signale Natacha Jetha, agente de recherche à l’UQAM, qui a accueilli La Presse à Pike River avec ses collègues Mary Bergen et Mathieu Lamarche. Pour y arriver, l’équipe ne s’est pas contentée de planter de jeunes arbres pour ensuite les regarder pousser. C’est tout un écosystème qu’on tente de recréer, et l’UQAM n’a pas lésiné sur les moyens pour y arriver.

Des arbres relocalisés

Près de 50 arbres « de gros calibre » ont été transplantés, dont certains étaient âgés d’une dizaine d’années. Parmi eux, des ormes rouges, des saules, des aubépines, des cornouillers, des caryers ovales et d’autres espèces ont ainsi été relocalisés. Une opération plus longue, plus coûteuse et plus risquée que simplement planter de jeunes arbres en provenance d’une pépinière. Tous les arbres qui ont été transplantés ont été récoltés dans la forêt à proximité du site.

« Avoir de grands arbres, ça accélère la colonisation du milieu par différentes espèces », précise Mathieu Lamarche, l’un des agents de recherche du projet. En incluant les jeunes arbres, ce sont près de 500 arbres qui ont déjà été plantés, dont certaines espèces à statut précaire, comme le noyer cendré, le charme de Caroline et le micocoulier occidental. D’ici 2023, ce sont 35 000 arbres qui seront plantés sur deux sites qui totalisent une superficie de 25 hectares.

Sur les 500 arbres plantés ou relocalisés, une trentaine n’ont pas survécu, même si les travaux ont été effectués à l’automne, au moment où les arbres entrent en dormance, une période plus propice pour une telle opération. En revanche, de nombreuses plantes ont colonisé le secteur naturellement, à une vitesse étonnante, signale Natacha Jetha.

« L’objectif est de recréer un habitat naturel de la région, qui est adapté aux conditions du site, donc des espèces qui tolèrent des conditions du sol humide ou des inondations », explique Daniel Kneeshaw, qui se spécialise dans l’étude des impacts des changements climatiques sur les écosystèmes forestiers.

« Nous voulons aussi augmenter le nombre d’individus d’espèces qui se raréfient, pour contribuer à leur rétablissement, et améliorer la diversité afin de favoriser la résilience aux changements futurs, un peu comme on diversifie un portefeuille d’investissements boursiers. »

— Daniel Kneeshaw, spécialiste dans l’étude des impacts des changements climatiques sur les écosystèmes forestiers

L’équipe a aussi déposé des branches et des troncs d’arbres morts sur le terrain afin de reproduire le plus fidèlement possible un écosystème forestier. On a également ajouté de la terre et des feuilles mortes. Déjà, en moins de deux ans, l’ancien champ de maïs s’est radicalement transformé.

Captation de carbone

Qui dit forêt et changements climatiques dit également captation de carbone. L’un des aspects du projet consiste d’ailleurs à mesurer la quantité de carbone qui sera absorbée par le sol au cours des prochaines années. Deux capteurs ont été installés pour prendre les mesures nécessaires et faire un suivi du bilan carbone. Comme le projet de recherche s’échelonnera jusqu’en 2033, l’équipe de l’UQAM pourra récolter de précieuses données pendant plusieurs années.

Natacha Jetha et ses collègues se réjouissent par ailleurs de bénéficier d’une météo plus favorable cette année par rapport à l’an dernier, où l’été a été très sec. L’équipe est moins sollicitée pour aller arroser les arbres puisque les précipitations sont plus fréquentes cette année. « On a eu une saison ultra-sèche l’an dernier. Disons que ce n’est pas difficile de faire mieux cette année », lance Mathieu Lamarche.

L’objectif du projet n’est pas de trouver la recette qui permettrait de détruire des milieux naturels en se disant qu’on peut recréer exactement ce qui existait auparavant, prévient cependant M. Lamarche. « On n’arrivera jamais à faire aussi bien que la nature. Mais si notre projet peut aider pour d’autres projets de compensation… »

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