Iran

Un tout petit barreau crochi

Mais où est passée la police des mœurs iranienne ?

Plusieurs se posaient la question en Iran depuis la mort à la mi-septembre de la jeune Mahsa Amini aux mains de cette milice du zèle qui a la tâche de faire respecter le port du voile et le code vestimentaire de la République islamique. Première cible des manifestations des deux derniers mois, cette police, qu’on appelle aussi le « komité », semble avoir déserté les rues de l’Iran depuis que la colère des jeunes s’y déverse.

Résultat : selon des reportages qui ont émané de Téhéran dans les derniers jours, des centaines de femmes se promènent les cheveux au vent. Dans les manifestations, certes, mais aussi au marché, dans le métro, dans la vie de tous les jours.

En répondant à la question d’un journaliste dimanche, le procureur général du pays, Mohammad Jafar Montazeri, a lâché une bombe. Il a affirmé que la police des mœurs a été « abolie », avant de concéder que cette dernière ne relève pas de sa juridiction, mais bien du ministère de l’Intérieur.

C’est un peu comme si, au Canada, le ministre de la Justice faisait une annonce majeure sur l’avenir de la police à la place du ministre de la Sécurité publique. Ça soulèverait quelques interrogations. Idem en Iran.

En fin de journée dimanche, d’ailleurs, la télévision d’État Seda va Sima niait les déclarations du procureur général, m’a appris Vahid Yücesoy, doctorant en science politique à l’Université de Montréal, qui suit de près les nouvelles qui sortent de l’Iran.

Et la réaction des Iraniens, elle, est plutôt tiède. « Les Iraniens sont sceptiques, il y a plusieurs lectures de ce qui s’est passé. Est-ce une réponse déguisée aux manifestations, une réponse cosmétique ? On l’ignore », m’a dit à ce sujet Hanieh Ziaei, iranologue liée à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

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C’est donc avec ce gros bémol en tête qu’il faut entrevoir l’annonce de l’abolition de la police des mœurs en Iran, une annonce qui fait les manchettes de la planète entière. Une annonce qui, si elle est avérée, laisse entendre que le régime des ayatollahs – sous la pression – a fait une concession au mouvement de protestation qui promet trois jours de mobilisation sans précédent cette semaine.

Mais il ne faudrait pas que cette « nouvelle » entourée d’incertitude nous procure trop de soulagement.

Dans le système de répression en Iran, la police des mœurs n’est qu’un tout petit maillon. En fait, un des moins sanguinaires. Si vous demandez aux Iraniens de qui ils ont peur, ils vous parleront des Gardiens de la révolution, ou Pasdaran en farsi, une organisation paramilitaire qui répond directement aux ordres du Guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei. Ou ils mentionneront les basijis, des miliciens volontaires qui sont sous les ordres des Gardiens et dont le rôle est de faire régner l’ordre dans les rues.

Ces deux entités jouent un rôle central dans la répression des manifestations ces jours-ci. C’est à eux que les Iraniens pensent en voyant que 470 personnes ont été tuées en deux mois, dont 64 enfants, dans la foulée de la vague de dissension. Pas à la police des mœurs.

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Il ne faudrait pas oublier non plus que les forces de l’ordre – qu’elles prennent une forme ou une autre – ne sont que les gardiennes d’un système de répression, fait de lois draconiennes, particulièrement discriminatoires à l’égard des femmes.

Même si le régime décidait de lâcher un peu de lest en laissant les femmes choisir de porter le voile islamique ou non, il reste que ces mêmes femmes n’auraient toujours pas le droit de voyager sans l’assentiment de leur père avant 40 ans ou encore d’accéder à la magistrature. Leur témoignage devant une cour de justice vaudrait toujours la moitié de celui d’un homme.

Si une femme était assassinée, la famille du tueur aurait toujours droit à une aubaine de 50 % par rapport à un homme lorsqu’il est temps de verser le « prix du sang » aux proches de la victime. Et l’héritage ? Les filles continueraient de recevoir la moitié de la part des garçons.

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Vous aurez compris le thème récurrent : avec ou sans voile, une femme ne pèse pas lourd dans ce système iranien qui a été construit comme une cage liberticide dont il est difficile de s’échapper.

Et c’est cette cage que les manifestants brassent ces jours-ci. Très fort. À Téhéran, à Shiraz, à Kermanchah et dans 156 autres villes iraniennes. Cette cage que beaucoup d’entre eux veulent ouvrir, estimant qu’il n’est plus possible de la redécorer ou d’en refaire l’architecture.

Il serait surprenant qu’ils baissent les bras même si le régime, par la voix d’un procureur général électron libre, leur promet de crochir un tout petit barreau de la cage.

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