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Google va déployer dès cette semaine la fonctionnalité « AI Overviews », qui emploie l’intelligence artificielle. Mais certaines de ses caractéristiques font craindre le pire aux éditeurs de sites web.

Le moteur de recherche de Google carburera à l’IA

En mai dernier, Sundar Pichai, PDG de Google, a annoncé que l’entreprise utiliserait l’intelligence artificielle (IA) pour réimaginer l’ensemble de ses produits.

Mais cette nouvelle technologie présente des risques, comme celui de diffuser de fausses informations, et Google s’est montré prudent avant de l’appliquer à son moteur de recherche utilisé par plus de 2 milliards de personnes et qui a généré 175 milliards US en revenus en 2023.

Mardi, lors de la conférence annuelle de Google à Mountain View, en Californie, M. Pichai a montré comment le travail de ses développeurs en IA a percolé jusqu’à Google Search. Dès cette semaine, les utilisateurs américains verront apparaître la fonctionnalité « AI Overviews », qui génère des résumés au-dessus des résultats de recherche traditionnels. D’ici la fin de 2024, plus de 1 milliard de personnes y auront accès.

Craintes chez les éditeurs et créateurs

AI Overviews fait craindre aux éditeurs de sites web que Google Search leur amène moins de visiteurs, ce qui accentuerait la pression sur un secteur fragilisé par des conflits avec d’autres plateformes (voir autre onglet). Google fournira des résumés assez longs, réduisant ainsi la nécessité d’aller sur un autre site web.

Google minimise ces inquiétudes. Selon Liz Reid, vice-présidente à la recherche chez Google, « les liens au bas des aperçus IA obtiennent plus de clics » que s’ils étaient présentés comme des résultats de recherche traditionnels. « L’envoi de trafic de haute valeur aux éditeurs et aux créateurs » demeure une priorité, dit-elle.

L’entreprise a également dévoilé une série d’autres initiatives – notamment un modèle d’IA allégé, de nouvelles puces et des « agents » facilitant certaines tâches – qui visent à assurer sa suprématie en IA sur ses rivaux Microsoft et OpenAI, le créateur de ChatGPT.

« Nous sommes au tout début du passage à l’IA, Nous voulons que tout le monde profite de ce que Gemini peut faire, développeurs, start-up et grand public. »

— Sundar Pichai, lors de la conférence I/O de Google destinée aux développeurs

Quand OpenAI a lancé ChatGPT fin 2022, certains experts l’ont perçu comme une menace sérieuse pour Google Search, le moteur de recherche le plus populaire. Depuis lors, Google s’est efforcé de reprendre le dessus en IA, en lançant une famille de technologies appelée Gemini, comprenant de nouveaux modèles d’IA pour les développeurs et un robot conversationnel pour les consommateurs. Google a aussi intégré de l’IA dans YouTube, Gmail et Docs, afin de faciliter la création de vidéos, de courriels et de textes.

Pendant ce temps, la lutte de Google avec OpenAI et son partenaire Microsoft s’est poursuivie. La veille de la conférence de Google, OpenAI a présenté une nouvelle version de ChatGPT plus proche d’un assistant vocal.

Lors de sa conférence de mardi, Google a montré comment il comptait intégrer l’IA plus profondément dans la vie des utilisateurs.

Projet Astra

Il a présenté le projet Astra, qui vise à déterminer comment l’IA pourrait agir en tant qu’agent, en discutant de vive voix avec les utilisateurs et en réagissant aux images et vidéos. Certaines de ces fonctions seront intégrées au robot conversationnel Gemini de Google cette année, a indiqué Demis Hassabis, patron de DeepMind, le laboratoire d’IA de Google.

DeepMind a présenté Gemini 1.5 Flash, un modèle d’IA censé être rapide et efficace, mais allégé par rapport à Gemini 1.5 Pro, le modèle intermédiaire déployé dans un grand nombre de services grand public de Google. Gemini 1.5 Flash est « très performant » en matière de raisonnement et sait résumer des informations, converser et sous-titrer des images et des vidéos, a dit M. Hassabis.

Google a annoncé un autre modèle d’IA, Veo, censé générer des vidéos en haute définition à partir de simples sollicitations textuelles, à l’instar du système Sora d’OpenAI. Certains créateurs pourront tester Veo en avant-première et d’autres pourront s’inscrire sur une liste d’attente. D’ici la fin de l’année, Google prévoit intégrer certaines fonctionnalités de Veo à YouTube Shorts, le concurrent de TikTok sur la plateforme vidéo, ainsi qu’à d’autres produits.

Générateur de musique

Google a aussi présenté les dernières versions de son outil générateur de musique, Lyria, et de son générateur d’images, Imagen 3. En février, Gemini avait été critiqué par des utilisateurs parce qu’il refusait de générer des images de personnes blanches et présentait des images inexactes de personnages historiques.

Google avait alors suspendu la génération d’images de personnes jusqu’à ce qu’il ait résolu le problème.

Google a indiqué que plus de 1 million d’utilisateurs se sont inscrits – pour 20 $ US par mois – à Gemini Advanced, la version payante du robot conversationnel, durant le dernier trimestre.

Dans les prochains mois, Google ajoutera Gemini Live, qui permettra aux utilisateurs de s’adresser verbalement au robot. Gemini aura des voix naturelles, dit Google, et les utilisateurs pourront même lui couper la parole pour poser des questions plus précises. Plus tard en 2024, les utilisateurs pourront se servir de leur appareil photo pour montrer à Gemini Live le monde matériel qui les entoure et en parler avec lui.

Outre les aperçus IA, Google Search présentera des pages de résultats de recherche organisées par l’IA, avec des titres générés mettant en évidence différents types de contenus. Cette fonctionnalité sera d’abord proposée pour les résultats concernant les repas et les recettes, puis pour les achats, les voyages et les divertissements.

Cet article a été publié dans le New York Times.

Google et l’IA 

Les créateurs web craignent une hécatombe

Le blogue de cuisine rapide de Kimber Matherne est un grand sucès : il génère des millions de clics par mois.

Mais cette Floridienne, mère de trois enfants, dit que la prochaine fonction de Google – qui intègre de l’intelligence artificielle (IA) – menace son gagne-pain. Environ 40 % des visiteurs de son blogue, Easy Family Recipes, y arrivent à partir du moteur de recherche Google qui, depuis plus de 20 ans, domine la dissémination de l’information sur l’internet, envoyant chaque jour les internautes vers des centaines de millions de sites web.

Même avant la conférence Google I/O 2024, qui a eu lieu mardi, des créateurs comme Mme Matherne s’inquiétaient des capacités d’IA en voie d’être incorporées au moteur de recherche. Cette fonction « Search Generative Experience » (SGE) répond elle-même aux recherches par des réponses détaillées qui repoussent les liens vers d’autres sites web plus bas dans la page, où ils ont moins de chances d’être vus.

Ce changement risque d’ébranler les fondements mêmes du web.

Il menace la survie des millions de créateurs qui dépendent de Google Search. Certains experts craignent que l’IA renforce l’emprise déjà forte du géant de la techno sur l’internet, ce qui mènerait à la concentration de l’information entre les mains de quelques grandes entreprises.

« Leur but est de faciliter la recherche d’information pour les internautes, explique Mme Matherne. Mais si l’on exclut les gens qui créent cette information – et qui sont le véritable lien humain de cette information –, on fait du tort à tout le monde. »

Liens obscurs

Les réponses de l’IA de Google – des overviews (aperçus) – sont souvent des paraphrases de sites web. La recherche « Comment réparer ma toilette qui fuit » génère par exemple plusieurs conseils, dont « Serrez les boulons du réservoir ». Au bas de la réponse, Google renvoie à The Spruce, un site de bricolage-jardinage appartenant à l’éditeur Dotdash Meredith, qui publie aussi Investopedia et Travel and Leisure. L’IA de Google a repris mot pour mot une phrase tirée de The Spruce.

Un porte-parole de Dotdash Meredith s’est refusé à tout commentaire.

Les liens vers les sites sont souvent à moitié couverts ; il faut cliquer pour élargir la boîte et les voir tous. On ne voit pas très bien si telle information vient de tel ou tel lien.

Selon le cabinet-conseil Gartner, le trafic des sites en provenance des moteurs de recherche chutera de 25 % d’ici 2026. Ross Hudgens, PDG de Siege Media, spécialiste de l’optimisation des moteurs de recherche, chiffre cette baisse à 10 à 20 %, voire plus pour certains éditeurs.

« Pour certains, ça va être la saignée. »

— Ross Hudgens, PDG de Siege Media

Raptive, qui fournit des services de médias numériques, d’audience et de publicité à environ 5000 sites web, dont Easy Family Recipes, estime que l’ajout de l’IA dans Google Search pourrait faire perdre environ 2 milliards de dollars aux créateurs, certains sites risquent de perdre jusqu’aux deux tiers de leur trafic. Raptive arrive à ces chiffres en analysant des milliers de mots-clés qui alimentent son réseau et en comparant la recherche traditionnelle sur Google et la version pilote de Google SGE.

Selon Michael Sanchez, PDG de Raptive, les changements à venir chez Google pourraient « causer des dommages considérables à l’internet » tel qu’on le connaît. « Déjà, les règles du jeu n’étaient pas équitables […]. Ça pourrait basculer au point de menacer la survie à long terme de l’internet ouvert », a-t-il déclaré.

Suivre Microsoft

Ceux qui gagnent leur vie sur le web sont inquiets.

Jake Boly, entraîneur de musculation d’Austin, au Texas, a passé trois ans à établir son site web d’évaluation de chaussures d’entraînement. L’an dernier, son trafic arrivant de Google a chuté de 96 %. Google semble encore accorder de la valeur à son travail et cite sa page sur les réponses générées par l’IA à propos des chaussures. Mais les internautes lisent le résumé de Google et ne visitent plus son site, déplore M. Boly.

« Mon contenu est assez bon pour qu’on le siphonne et le résume, mais pas assez pour apparaître dans les résultats de recherche normaux, ce qui met du pain sur ma table et me permet de rester à flot. »

— Jake Boly, qui possède un site spécialisé évaluant les chaussures d’entraînement

Google avait déjà mis de l’IA dans Google Traduction, mais s’est vraiment lancé quand Microsoft, son principal concurrent, a ajouté un robot d’IA au moteur de recherche Bing en février 2023. Google Docs, les outils d’édition vidéo de YouTube et l’assistant vocal Google ont alors tous été dotés d’IA.

Ces produits mettent du beurre sur le pain, mais chez Google, c’est le moteur de recherche qui génère le pain (57 % de ses 80 milliards de revenus au premier trimestre 2024). Au fil des ans, les annonces sur les recherches lui ont fourni l’argent nécessaire pour développer ses autres activités (comme YouTube et le stockage infonuagique) et pour rester compétitif en rachetant d’autres entreprises.

Google montre ses réponses IA depuis un an à un petit pourcentage de ses milliards d’utilisateurs, afin d’améliorer la technologie. Il commet souvent des erreurs. Une étude publiée en avril montre que l’IA de Google fournit des réponses verbeuses et que, parfois, elle comprend mal la question et invente de fausses réponses.

Plusieurs poursuites en cours

La ruée vers l’IA générative risque de causer des problèmes juridiques. L’IA d’OpenAI, Google, Meta et Microsoft s’abreuve à des millions d’articles d’actualité, de blogues, de livres électroniques, de recettes, de commentaires sur les réseaux sociaux et de pages Wikipédia qui ont été pris sur l’internet sans payer leurs auteurs originaux ni leur demander la permission.

OpenAI et Microsoft font face à plusieurs poursuites pour vol présumé d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

« Si les journalistes agissaient comme ça entre eux, on parlerait de plagiat », souligne Frank Pine, rédacteur en chef de MediaNews Group, qui publie des dizaines de journaux aux États-Unis. En avril, plusieurs journaux de la société ont intenté un procès à OpenAI et à Microsoft, les accusant d’avoir pillé leurs articles de presse pour entraîner leur IA.

Cet article a été publié dans le Washington Post.

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