Chronique

Cœur de père

C’était avant que sa vie bascule. Sa vie de père. Il y a un an jour pour jour, l’humoriste Jonathan Roberge a quitté son poste de chroniqueur à l’émission matinale du 94,3, à Montréal, pour réaliser un rêve : préparer son premier one-man-show. Il voulait aussi passer plus de temps avec ses enfants, de 2 et 10 ans.

« Je n’étais jamais là avec eux au déjeuner, j’étais crevé au moment de faire les devoirs ou d’aller voir mon gars jouer au hockey, dit-il. J’adorais faire de la radio le matin, mais pas au détriment de ma paternité. »

Sa blonde, qui avait fait bien des sacrifices pour ménager la carrière médiatique de Jonathan, avait elle aussi de nouvelles ambitions. Après le décès de sa mère, elle a décidé de réorienter sa carrière. Elle a abandonné son métier de coordonnatrice en télé pour ouvrir un café, avec l’argent de l’héritage et l’essentiel des économies du couple.

Le café a été inauguré en novembre. Jonathan a entrepris au même moment une tournée médiatique pour annoncer ses premières dates de spectacle. « On venait de se dire la veille en se couchant que 2020 allait être notre année. On prenait notre erre d’aller. Le lendemain, tout s’est écroulé. On a frappé un mur. Ce n’était pas juste un bâton dans les roues. C’était un mur ! »

Le 22 novembre, Roberge était en entrevue lorsqu’il a reçu un texto de son ex, qui est aussi infirmière. Elle s’inquiétait des vomissements répétés de leur fils de 10 ans, Xavier, à l’école. Jonathan soupçonnait une commotion cérébrale, subie au hockey. Ils se sont retrouvés à l’hôpital Sainte-Justine pour une batterie de tests.

Quelques heures plus tard, un médecin leur annonçait que Xavier avait une masse de la taille d’un avocat, logée entre le cervelet et le tronc cérébral, et qu’un neurochirurgien devait l’opérer d’urgence. C’est seulement une fois retirée qu’on a su que la tumeur était maligne. Un cas extrêmement rare de cancer du cerveau.

Le temps qui s’arrête, le sol qui se dérobe sous les pieds, une digue qui s’ouvre sur un torrent de larmes. Son cœur de père en miettes, Jonathan a voulu tout abandonner.

« J’ai appelé mon gérant pour lui dire que je lâchais tout. On a décidé qu’on allait vendre le café. Mon père m’a dit qu’en tassant tout le reste pour faire la place à la tristesse, je me donnais toutes les chances de faire une dépression. “Tu ne peux pas dire à un petit gars de 10 ans de ne pas abandonner alors que tu abandonnes tout. Tu vas rentrer dans la chambre et tu vas dire à ton fils que vous n’abandonnez rien !” Ç’a été mon wake-up call. J’ai trouvé mon père tellement brillant. »

— Jonathan Roberge

En avril, juste à temps pour son anniversaire, l’artiste de 37 ans a appris qu’il n’y avait plus de trace de cancer dans le cerveau de Xavier. Il ne sera pas en rémission avant un an et demi, comme le taux de récidive est élevé, et pas officiellement guéri avant sa majorité, mais c’est une très bonne nouvelle. « On est sur la bonne voie, mais ce sont vraiment des montagnes russes. On aura des rendez-vous tous les trois mois pendant des années. »

Xavier, qui a désormais 11 ans, est depuis sa naissance au cœur de la démarche artistique de son père, à la fois humoriste, scripteur, comédien et réalisateur. Jonathan Roberge, révélé grâce aux capsules web Contrat d’gars (avec Alexandre Champagne), a ensuite réalisé plusieurs dizaines de capsules web intitulées Fiston, où il donnait des « conseils de vie » à son jeune enfant. Puis la websérie Papa mettait aussi en vedette Xavier lui-même, dans le vrai-faux rôle du fils de Jonathan. Le garçon de 5-6 ans était d’un naturel désarmant dans cette comédie douce-amère.

« La paternité m’a toujours inspiré, dit Roberge, qui était cette semaine porte-parole de la Semaine québécoise de la paternité. Quand mon fils est arrivé dans ma vie, c’était une surprise. Je me demandais comment gérer ça. Mais c’est vite devenu mon moteur de création. »

Jeune garçon miraculé et résilient, Xavier n’hésite pas à affronter la maladie en riant, ce qui permet de désamorcer le drame que vit sa famille élargie. Jonathan est convaincu que c’est ce trait de caractère familial, cette propension à rire du plus tragique – aussi présent chez son ex et son conjoint –, qui leur a permis de traverser les premières étapes de l’épreuve.

« La journée même où le docteur lui a annoncé le diagnostic, on venait de beaucoup pleurer et Xa m’a dit : “Tu sais, papa, j’ai été l’un des derniers joueurs coupés du Atome AA alors que j’avais des migraines tout le temps. Imagine si j’avais pas eu de tumeur !” Quand on joue à des jeux de société, il dit que c’est au “petit cancéreux” de commencer. Je lui demande ce qu’il veut manger et il me répond avec un clin d’œil : “Quelque chose qui se vomit bien !” »

— Jonathan Roberge

J’en ris aux larmes, à la fois ému et amusé. Si Roberge peut en rire, c’est grâce à son fils. Il a réécrit la fin de son spectacle, pour y inclure les évènements des derniers mois. Il devait commencer à roder son one-man-show le week-end où le confinement a provoqué la fermeture des salles de spectacle. Sa tournée a été reportée à l’automne. « Ce n’est pas vrai que j’ai traversé tout ça avec mon fils pour que la COVID tue mon spectacle ! », dit-il en riant.

S’il a surtout reçu « une vague d’amour » – plusieurs familles ayant traversé la même épreuve lui ont offert leur soutien –, Jonathan Roberge n’a pas trouvé que des avantages à vivre publiquement la maladie de son fils. « Je sais que ça vient avec la job, mais quand ça fait quatre jours que tu ne dors pas, que tu fais juste pleurer, et qu’à la cafétéria, un père qui est là pour les oreillons de son fils veut que tu souries pour un selfie, ça peut être lourd, même si ce n’est pas mal intentionné !  »

Tous ne sont pas aussi bienveillants. Certains ont osé écrire sur ses réseaux sociaux que Roberge avait « publicisé » le cancer de son fils pour mieux vendre ses billets de spectacle. D’autres ont laissé entendre de manière tout aussi odieuse qu’on gaspillait des fonds publics pour sauver son enfant alors qu’il aurait mieux valu laisser la sélection naturelle en décider. « Ils ont droit de le penser et de le dire, même si je trouve ça horrible », dit-il.

« Les premiers temps, j’étais extrêmement amer. Je pense que n’importe qui le serait devenu. Gandhi serait devenu amer ! Mais deux mois plus tard, j’étais dans un autre état d’esprit. Je me demandais pourquoi je m’étais autant préoccupé de ma carrière ou de l’argent jusque-là. Tu te rends compte comme tout est futile quand tu es au chevet de ton enfant à l’hôpital. Le lâcher-prise s’impose naturellement quand tu n’as pas le choix. »

Bonne fête des Pères à toi, Jonathan. Embrasse Xavier pour moi.

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