Chronique

Usine éphémère en quête de pérennité

Depuis le mois de mars, la pandémie de COVID-19 a paralysé ou carrément mis à l’arrêt son lot d’entreprises au Québec, mais pour certaines qui sont impliquées dans la fabrication de produits liés directement à la lutte contre le virus, les affaires évoluent à la vitesse grand V. C’est notamment le cas du fabricant de jeans Yoga Jeans, qui s’est recyclé dès le début de la crise dans la fabrication de blouses médicales et qui vient d’ouvrir une usine éphémère à Montréal pour répondre à la demande.

Le bâtiment de quatre étages, au coin des rues de Port-Royal et Tolhurst, dans le nord de Montréal, ne paie pas de mine. Situé à deux coins de rue de Chabanel, la grande artère de la couture montréalaise, le vieil édifice a l’air en fait carrément abandonné.

« C’est un édifice abandonné. Il va être éventuellement détruit pour faire place à un projet domiciliaire, mais j’ai convaincu le propriétaire de me laisser le quatrième étage pour au moins les 12 prochains mois pour que je puisse y fabriquer mes blouses médicales », m’explique Eric Wazana, PDG de Yoga Jeans.

Je vous ai déjà parlé au début de l’été de la conversion de Yoga Jeans lors d’un reportage en région où l’entreprise avait converti son usine de jeans haut de gamme de Saint-Côme-Linière, en Beauce, en atelier de fabrication de blouses médicales.

« On a commencé la fabrication de blouses médicales dès le 15 mars, avant même qu’on annonce la fermeture des industries non essentielles. On voulait faire notre part et garder au travail nos 100 employés », relate Eric Wazana.

Dès le début de l’aventure, l’entreprise a acheté tout le tissu disponible pour pouvoir assurer la production, mais s’est rapidement trouvée en rupture de stock. Son PDG a alors décidé d’utiliser le tissu qui sert à la fabrication de coussins gonflables.

« L’industrie automobile était à l’arrêt. J’ai contacté l’entreprise Autoliv en Ontario, le plus gros fabricant de coussins gonflables au monde, et elle a accepté de m’approvisionner.

« Il a fallu que nos équipes de spécialistes transforment la fibre de nylon de ce tissu rugueux pour en faire une fibre souple qu’on enduit d’un produit hydrostatique qui le rend imperméable. L’Agence de la santé publique du Canada a rapidement homologué nos blouses médicales », précise Eric Wazana.

Une étape importante puisque Yoga Jeans a réussi à remporter l’appel d’offres du gouvernement fédéral qui voulait se constituer une réserve nationale de 2,5 millions de blouses d’ici au mois de janvier 2021.

Production à grande échelle

Pour remplir cette importante commande, Yoga Jeans a dû s’équiper et embaucher beaucoup de personnel supplémentaire à son usine de Beauce, où les effectifs sont passés de 100 à 300 employés.

Ce n’était pas suffisant et c’est pourquoi Eric Wazana a ouvert en quatrième vitesse un nouveau centre de production à Montréal qui emploie aujourd’hui 280 personnes et qui embauche toujours.

« On est arrivés ici en août. On a pris le quatrième étage parce que les plafonds ont plus de 30 pieds de hauteur et que la fenestration laisse entrer une belle lumière tout au long de la journée. On a envoyé une équipe pour tout nettoyer de fond en comble. On a acheté l’équipement et commencé la production au début de septembre », m’explique Eric Wazana en me faisant visiter cette usine de 60 000 pieds carrés.

On le sait, l’industrie du textile à Montréal n’est plus ce qu’elle était, et trouver des opérateurs de machines à coudre est devenu presque impossible.

Yoga Jeans a mis sur pied un centre de formation en Beauce et un autre à Montréal. On y forme tous les employés qui travaillent sur place et l’entreprise offre des salaires très compétitifs pour être capable de combler ses besoins de main-d’œuvre.

Toute la production est acheminée vers des entrepôts gérés par le gouvernement fédéral aux quatre coins du Canada, à partir desquels les boîtes de blouses médicales sont réacheminées vers les cliniques et hôpitaux du pays.

Yoga Jeans a acquis une expertise et atteint une qualité de produits qui vont lui permettre de poursuivre ses activités, espère Eric Wazana, qui s’attend à ce que le gouvernement fédéral lance un nouvel appel d’offres prochainement pour se constituer une réserve stratégique.

Sinon, l’entreprise tente de percer le marché américain et a commencé à décrocher des contrats auprès de cliniques médicales, de dentistes et d’hôpitaux.

« On a mis notre production de jeans sur pause et on en a profité pour écouler tous nos inventaires. Là, on arrive bientôt à zéro et on va reprendre progressivement la production de jeans », prévoit l’entrepreneur.

La mise en place en un mois seulement de cette usine éphémère dans un immeuble abandonné qui bourdonne aujourd’hui d’activité s’est révélée tout un exercice de logistique et de préparation.

Eric Wazana, qui avait passé cinq mois en Beauce pour y transformer son usine, est revenu à Montréal depuis le mois d’août avec son équipe de direction beauceronne pour lancer les activités et superviser la production. « Sans eux, je n’aurais jamais réussi à monter cette opération », insiste le PDG, qui souhaite maintenant que la production de blouses médicales se poursuive au-delà de l’aventure de la rue Tolhurst.

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