Chronique

Les musulmans morts et enterrés

J’ai peur de quelques trucs dans la vie, comme du cancer du pancréas et du tata à vélo qui ne fait pas ses stops au coin de ma rue, j’ai aussi peur de ne pas avoir verrouillé la porte de la maison et des fois ça me gosse au point où je me tire du lit pour aller voir si je l’ai verrouillée.

La réponse est oui, toujours.

Et la grande peur de l’époque, M. le chroniqueur ?

Ah, oui, le terrorisme…

Une fois.

Une peur irraisonnée et j’ai encore honte de le dire – j’haïs donner raison aux cons – mais j’avais surtout peur de devoir courir très vite dans Paris et que mon fils ne me ralentisse dans la fuite, parce qu’il ne court pas encore aussi vite que moi, même s’il court vite en titi. Nous sommes donc allés en Italie.

Je n’ai pas peur du virus du Nil, je n’ai pas peur de la grippe A, je n’ai pas peur du pédophile inconnu, je n’ai pas peur qu’on me fasse les poches dans le bas de la ville, je n’ai pas peur des squeeges, je n’ai pas peur d’une guerre nucléaire même que je trouve que c’est une mort rapide, mourir dans une guerre nucléaire, même que je vais vous donner un truc, si vous apprenez que Trump a lancé ses missiles sur la Russie parce que Poutine a finalement fait publier des photos de son micropénis (celui de Trump, Poutine, lui, selon mes sources a… bon, ce sera pour une autre chronique) : ne courez pas aux abris. Personne ne veut survivre à une guerre nucléaire.

Ai-je dit que je n’ai pas peur des trolls ? Je le dis par précaution, parce que c’est dans l’air du temps…

Il y a une autre chose dont je n’ai pas peur, une chose tellement conne que je ne pensais jamais devoir m’en ouvrir à vous, amies lectrices (hey, c’est le 8 mars, le féminin englobe le masculin), mais puisque c’est dans l’actualité…

Je n’ai pas peur des musulmans morts et enterrés.

À Saint-Apollinaire – c’est dans le Lévis métropolitain – il y a des gens qui ont peur des musulmans morts et enterrés. Ils ont sans doute des cousins à Hérouxville.

C’était dans les nouvelles hier : peut-être avez-vous vu ces Apollinois-e-s dire à leurs élus municipaux qu’ils ne veulent pas que le deuxième cimetière musulman québécois soit aménagé dans leur patelin…

J’en cite quelques-uns qui ont pris la parole au conseil municipal de lundi…

Michel Sévigny, cité par TVA : « Pourquoi ça aboutit ici, ce cimetière-là, encore ? La prochaine fois, si les Hells cherchent un endroit pour bâtir un bunker, ça va être ici ? »

Julien Joannette, cité par Radio-Canada : « Ils vont en venir à autre chose. Ils vont se bâtir une mosquée, ils vont s’installer dans le village. Ils vont prendre les maisons disponibles et on va se ramasser avec un tiers de musulmans. »

Réal Létourneau, cité par TVA : « Ils me font peur, les musulmans. »

L’islamophobie – la peur irraisonnée des musulmans – est une plaie moderne qui contamine l’Occident, pas seulement le Québec.

La peur du musulman, c’est une chose. J’ai dit 100 fois combien je trouve exaspérante notre fixation sur les musulmans, sur l’amalgame musulman=terroriste. Ne pas céder un pouce aux islamistes ? Bien sûr, absolument, j’en suis et nommer la haine quand elle est dite et propagée : you bet.

Mais craindre l’islamisation de la petite enfance québécoise par exposition au hijab des éducatrices en CPE ? Gimme a break.

Sauf que la peur des musulmans morts et enterrés, là, j’avoue que je ne suis plus dans l’exaspération…

Je suis dans le roulement des yeux qui me permet de voir mon cervelet, je ne sais pas si on est dans un remake moderne de « The Russians are Coming, The Russians are Coming » mettant en vedette le Musulman comme croque-mitaine du moment, à chaque époque son grand méchant loup…

Pensez-y : avoir peur de musulmans morts et enterrés !

Oui, oui, je sais, je sais…

Y ont pas vraiment peur des musulmans morts et enterrés, ils ne craignent pas vraiment que les cadavres des musulmans morts et enterrés sortent de leurs cercueils – façon Walking Dead – pour aller imposer la charia au camping du Domaine de la Chute, sur le chemin du même nom…

Enfin, je pense qu’ils ne craignent pas ça, ces Réal et ces Michel et ces Julien.

J’espère que non.

Pensez-vous que oui, vous ?

Mais supposons que non, supposons que ces Réal, ces Michel et ces Julien n’ont pas peur que les musulmans morts et enterrés sortent de terre pour aller interdire de force la vente de côtes levées au IGA Veilleux de la rue Principale, disons qu’ils ont juste peur de l’islamisation d’une partie du village parce que le second cimetière musulman du Québec y est aménagé…

Qu’est-ce qu’on répond à ça ?

« Non », est-ce que « Non », ça suffit ?

Ou est-ce que même dire « Non », c’est appliquer un critère rationnel à une façon de vivre et d’avoir peur qui ne l’est pas ?

Mais voilà où nous en sommes : il y a de nos concitoyens qui ont peur de musulmans morts et enterrés.

Imaginez la peur qu’inspirent ceux qui sont vivants.

Sur ce, je vous laisse, je crois que je n’ai pas verrouillé la porte, je vais aller m’en assurer, je ne voudrais pas me réveiller avec des musulmans morts dans le salon qui regardent Al-Jazeera dans ma TV espionnée par la CIA (joke d’actualité récente), ce serait ben maudit, je n’ai pas de gaufres halal sous la main.

DIKTAT DES QUOTAS

Nouvelle tuile sur la tête du Service de police de la Ville de Montréal, hier : la journaliste Monic Néron, de l’émission de Paul Arcand, a révélé une affaire de billet de contravention émis par une policière en utilisant le NIP d’un collègue policier qui, semble-t-il, ne donnait pas assez de billets…

On verra ce qui sortira de cette enquête, peut-être que c’est plus de la bêtise humaine que du ressort du Code criminel, mais je veux attirer votre attention sur un aspect négligé de cette affaire…

Les quotas.

Je l’ai dit quelques fois ici, à propos des policiers et des vérificateurs de Revenu Québec : imposez-leur des quotas fixes et ils vont faire une fixation sur les quotas, au risque d’épingler des citoyens qui n’ont rien à se reprocher : tu ne sanctionnes plus ceux qui le méritent, tu sanctionnes pour faire du chiffre.

Qui décide du chiffre à atteindre ? Eh oui, le politique.

Or, à Montréal, la pression imposée par le maire Coderre et son DG Marcoux pour que la police soit une vache à lait mène à des excès, qui ont été 100 fois dénoncés. L’affaire rapportée par Monic Néron hier tient autant de la bêtise humaine que du diktat des quotas. Ça fait faire des niaiseries, les quotas : universel.

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