ChatGPT et la dissertation finale de philosophie

Voici bien longtemps qu’on nous en parlait. L’intelligence artificielle transformera l’humanité. Elle ébranlera les fondations de nos sociétés et nous forcera à revoir, par exemple, le système d’éducation. Depuis quelques semaines, c’est arrivé.

Vous êtes sceptiques ? Je ne peux pas vous en vouloir. Et puis, c’est une chose que de produire un rapport de laboratoire sur une molécule, c’en est une autre de rédiger des travaux de philosophie sur des questions abstraites.

Nous ne sommes pas sur le point de voir l’intelligence artificielle jongler adéquatement avec de lourdes questions de sens semblables à celles que l’on retrouverait dans un cours de philosophie, direz-vous.

J’ai inscrit dans ChatGPT une des questions que j’ai soumises à mes élèves qui terminaient, la semaine dernière, leur premier cours de philosophie au collégial : le dogme a-t-il sa place parmi nos croyances ? Pour plus de précision, j’ai ajouté, à la fin de la question, les informations suivantes : 800 mots, deux arguments, un contre-argument, une réponse au contre-argument.

Voici ce que j’ai obtenu :

« Le dogme a-t-il sa place parmi nos croyances ? C’est une question complexe et délicate qui suscite souvent des opinions divergentes. D’un côté, certains soutiennent que le dogme est un élément essentiel de toute religion ou croyance, car il fournit des normes claires et des croyances fondamentales qui guident les actions et les pensées des individus. D’un autre côté, d’autres personnes estiment que le dogme est restrictif et peut nuire à la liberté de pensée et d’expression, en limitant les possibilités de compréhension et d’évolution des croyances.

Un argument en faveur de l’importance du dogme dans nos croyances est que cela permet de maintenir une cohérence et une continuité dans les enseignements et les pratiques de la religion ou de la croyance en question. Le dogme fournit des normes et des valeurs communes qui sont considérées comme véritables et importantes par la communauté croyante, et qui peuvent être utilisées pour guider les actions et les décisions individuelles. De cette façon, le dogme peut contribuer à la solidarité et à la cohésion de la communauté croyante, en fournissant un socle commun sur lequel tous les membres peuvent s’appuyer.

Un autre argument en faveur du dogme est qu’il peut être utile pour protéger les croyances fondamentales de la religion ou de la croyance en question contre les critiques ou les déviations. Le dogme peut fournir une base solide et universelle sur laquelle reposent les croyances, ce qui peut empêcher les individus ou les groupes de remettre en question ou de rejeter ces croyances. De cette façon, le dogme peut être considéré comme une sorte de bouclier qui protège les croyances fondamentales contre les attaques externes.

Un argument contre l’importance du dogme dans nos croyances est que cela peut être restrictif et inhibant pour la liberté de pensée et d’expression. Le dogme, en fixant des normes et des valeurs précises, peut empêcher les individus de questionner ou de remettre en cause ces normes et valeurs, ce qui peut limiter la capacité de compréhension et d’évolution des croyances. De cette façon, le dogme peut empêcher les individus de réfléchir librement et de suivre leur propre raisonnement, ce qui peut nuire à la liberté individuelle.

Une réponse à cet argument contre le dogme est que celui-ci ne doit pas être vu comme une restriction de la liberté de pensée… »

Pour avoir lu bien des textes d’élèves de cégep, je dirais que nous sommes devant un travail d’une grande qualité auquel aurait été rattachée une excellente note. Le propos est clair et bien articulé. Les idées sont bien exprimées. Loin d’un collage d’informations à la pertinence douteuse, l’orientation argumentative, les liens entre les concepts et la qualité générale de la langue correspondent bien à ce qui est demandé. L’illusion est donc réussie.

Le travail que j’ai donné à mes élèves était à faire à la maison. Bien sûr, les risques associés aux travaux destinés à être rédigés dans un tel contexte sont nombreux. Il y a toujours, comme chacun le sait, la possibilité de la grand-mère détentrice d’une maîtrise fortuite en philosophie qui séjourne dans le placard d’un élève…

Nous venons cependant, avec ce logiciel accessible en quelques clics, d’augmenter les facteurs de risques associés à la fraude étudiante de manière exponentielle.

Une situation complètement inusitée et révolutionnaire se présente à nous, qui nous forcera à revoir les méthodes et les façons de faire qui ont, en enseignement, prévalu jusqu’ici.

Peut-on, s’il n’est plus possible d’attester de l’authenticité d’un texte, encore demander à des étudiants de rédiger des travaux à la maison ? Préserve-t-on adéquatement l’équité qui doit prévaloir entre les étudiants lorsque le faussaire est fort probablement celui qui filera avec la meilleure note ? Peut-on sauver les modes d’évaluation qui s’inscrivent dans l’enseignement à distance si c’est cette distance elle-même qui ouvre toutes grandes les occasions de fraude ?

Et dites-moi, pendant que nous y sommes, à quoi cela rime-t-il d’apprendre à s’exprimer si l’intelligence artificielle pourrait fort bien être mieux outillée que vous pour rédiger le texte que vous voudrez lire lors des funérailles de vos proches ? Pourquoi voudrait-on savoir argumenter si les arguments les mieux ficelés que vous aurez à offrir à votre futur employeur pour vous engager seront ceux qui auront été élaborés par une machine ?

À quoi cela sert-il de penser si les efforts que vous déploierez à faire des liens entre des idées paraissent triviaux et rudimentaires en comparaison avec ceux que produisent automatiquement une entité artificielle ?

L’éducation est le processus par lequel on construit des êtres humains. On y inscrit ce que l’on juge le plus important. Nous sommes entrés dans un monde où, plus que jamais, il nous faut définir ce qu’il importe d’être pour offrir une direction enthousiasmante à l’humanité.

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