Réseaux sociaux

Les amitiés imaginaires

Grâce aux réseaux sociaux, on peut avoir l’impression de tout connaître d’une personnalité publique. Jusqu’à, parfois, la considérer presque… comme une amie. Ces relations dites parasociales sont tout à fait normales, explique la psychologue Marie-Anne Sergerie. Le phénomène suscite tout de même plusieurs questionnements.

Mais qu’est-ce qu’une relation parasociale ? « C’est quand une personne a l’impression d’avoir ou s’imagine avoir une relation avec une personne connue, décrit Marie-Anne Sergerie. Mais il y a une espèce de relation à sens unique où il n’y a pas de réciprocité. »

Le vedettariat a toujours existé, rappelle Nellie Brière, consultante en communications numériques et réseaux sociaux. Le numérique amène toutefois un plus grand sentiment de proximité. « On a toujours notre téléphone avec nous et on consomme le contenu seul, explique-t-elle. En plus, le mode de format comme les stories permet de documenter sa vie et de la mettre en scène. »

« Les réseaux sociaux sont des plateformes où la diffusion d’informations personnelles est un peu moins filtrée. Ça peut donner une impression de proximité et d’avoir accès à du contenu privilégié. »

— Marie-Anne Sergerie, psychologue

Il est donc normal de – presque – tout savoir sur la dernière rupture de notre vedette préférée, d’être inquiète pour l’animal de compagnie d’une personne connue qu’on suit religieusement ou d’être bien au fait de ce que plusieurs célébrités ont fait de leur temps des Fêtes.

Les relations parasociales ont augmenté aussi avec la croissance du nombre de personnalités publiques – que ce soit des célébrités ou des influenceurs – sur les réseaux sociaux. « La relation entre un abonné et un influenceur, elle vient d’une personne qui va donner beaucoup de contenu », indique Emmanuelle Parent, doctorante et chargée de cours à l’Université de Montréal, cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (Le CIEL).

Ces relations ne sont pas « forcément malsaines », dit la psychologue Marie-Anne Sergerie, auteure du livre Cyberdépendance : Quand l’usage des technologies devient problématique. « À la base, l’humain est un être social. Alors on a besoin d’être en lien avec les autres et naturellement, on a tendance à se regrouper et à former des liens pour le faire. Maintenant, ça se fait plus derrière un écran et sur les réseaux sociaux. »

Sonia Benezra est toujours étonnée par le contact direct qu’offrent les réseaux sociaux. « Il y a une intimité présente et encouragée », dit l’animatrice qui est suivie par 33 000 personnes sur Facebook. Certains la considèrent comme une amie, ou même une confidente, et lui livrent des messages très personnels. « J’apprécie que les gens prennent le temps de m’écrire », confie-t-elle.

Sonia Benezra évite de répondre à quelques messages qui la rendent plus mal à l’aise – comme des gens qui l’invitent à prendre un café – mais somme toute, elle apprécie cette proximité décuplée par les réseaux sociaux.

L’animatrice se fait même un devoir de répondre aux messages qui la touchent. « Je prends le temps d’écrire quelque chose de songé, quelque chose qui n’est pas instantané. » Sonia Benezra se dit elle-même généreuse dans ses réponses et veut à tout prix être authentique avec ses fans. « Je ne mens pas en disant que tout est beau ou que tout est parfait », concède-t-elle, surtout qu’elle ne veut pas tenir pour acquise cette communauté virtuelle qui la suit et l’encourage.

Des nuances

Florence Lyonnais suit des célébrités sur les réseaux sociaux, et ce, depuis longtemps. La jeune femme se qualifie même de « fan girl » de plusieurs actrices – elle se rend même à des salons pour les rencontrer.

« C’est sûr que je les connais au-delà de leur rôle, dit-elle. Ce que je trouve intéressant, c’est de voir leur quotidien, d’en apprendre un peu plus sur ce qu’ils font d’autre que de jouer et ce qu’ils ont à dire sur différents sujets de l’heure. »

S’identifier à des personnalités publiques et s’inspirer d’elles peut être bénéfique, concède la psychologue Marie-Anne Sergerie.

« Ça peut permettre de mieux se comprendre, de prendre des actions pour qu’on puisse s’engager dans notre vie, donc, sur ce plan, ce n’est pas un problème en soi d’avoir une influence qui reste dans un cadre qui est sain. »

— Marie-Anne Sergerie, psychologue

Emmanuelle Parent y voit aussi des bénéfices. « Ils peuvent être des modèles importants pour les jeunes, pour leurs valeurs ou même l’esthétique », croit-elle.

Les réseaux sociaux permettent aussi de s’identifier à des personnes qui ne sont pas nécessairement présentes dans les médias traditionnels, souligne-t-elle, et à rejoindre des communautés qui partagent les mêmes intérêts.

La consultante en communications numériques et réseaux sociaux Nellie Brière met toutefois en garde contre un « faux sentiment de proximité et d’attachement même » qui peut se développer avec une personnalité à travers les réseaux sociaux.

« Parce qu’on a l’impression de bien connaître la personne, ça donne beaucoup d’influence sur nous et ça leur donne le pouvoir de parfois maintenir l’illusion d’une relation réciproque. »

— Nellie Brière, consultante en communications numériques et réseaux sociaux

Un effet qui peut se répercuter notamment dans le portefeuille. Florence Lyonnais concède qu’elle se fait parfois prendre au jeu lorsqu’une vedette qu’elle aime publie du contenu publicitaire. « Ça m’influence à m’intéresser au produit et à parfois l’acheter, dit-elle. Ça me fait me sentir plus proche de la célébrité. »

Plusieurs personnalités financent leurs activités sur les réseaux sociaux grâce à la publicité. Les expertes consultées s’entendent pour dire que la majorité respecte les règles qui régissent ce genre de contenu. Or, les abonnés peuvent être vulnérables, notamment ceux qui ont développé des relations parasociales avec celles-ci. « Ce qui peut être insidieux sur les réseaux sociaux – et ce qui les avantage –, c’est qu’on peut avoir une recommandation hyper personnalisée, explique Emmanuelle Parent. Il est plus difficile d’avoir un esprit critique, parce qu’on se dit que la personne ne le recommanderait pas si elle ne l’aimait pas. »

À quel moment faut-il s’inquiéter ?

« Là où c’est problématique, c’est si ça crée une sorte d’envahissement dans la vie, indique la psychologue Marie-Anne Sergerie. Si la relation devient obsédante et qu’elle prend toute la place dans la vie d’une personne et même au détriment de certaines relations qui pourraient être dans la vie réelle. »

Marie-Anne Sergerie donne en exemple une personne qui inonde de messages et de commentaires une personnalité connue. « Ça pourrait verser dans du harcèlement », dit-elle. Emmanuelle Parent souligne que les plateformes peuvent nous inciter à passer beaucoup de temps sur un sujet donné comme une vedette, ce qui peut se transformer en fixation.

Nellie Brière croit aussi qu’il faut repérer les monomanies, qui ne sont pas causées nécessairement par le numérique, croit-elle, mais que les réseaux sociaux peuvent amplifier. « Une personne obsédée par maigrir, par exemple, elle pourrait juste suivre des influenceurs avec ce contenu. Ça peut être malsain et ça peut même devenir périlleux », dit-elle.

Les bonnes pratiques

« C’est comme si notre sens critique par rapport au relationnel qui vient du numérique n’est pas encore entrepris, notamment dans le milieu de l’éducation », explique Nellie Brière, qui croit qu’il devrait y avoir une plus grande importance accordée à la littératie numérique.

Et comme les jeunes sont de plus en plus exposés à des influenceurs sur les réseaux sociaux, il est d’autant plus important, poursuit Nellie Brière, « d’intégrer ces connaissances-là ». « C’est comme si on faisait du déni en tant que société », déplore-t-elle.

Est-ce correct de suivre avec assiduité de nombreuses personnalités ? « Tout est dans la manière de le faire, indique-t-elle, et tout passe dans le développement de l’esprit critique. »

La cofondatrice du CIEL Emmanuelle Parent croit aussi qu’il faut aller au-delà du préjugé négatif. « Comme c’est très rapide et instantané, il peut y avoir une qualité moindre de contenu, mais on doit s’éloigner de ces stéréotypes-là, parce qu’il y a des gens qui font du bon travail. »

« La sensibilisation est importante par rapport à n’importe quel visage des technologies, dit la psychologue Marie-Anne Sergerie. Dès les premiers instants où un enfant est initié aux technologies, il doit être accompagné par les parents. »

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