Gouttelettes de bonheur

Maddie : pas assez démunie

J’ai découvert une bande de personnes merveilleuses grâce à un club de natation pour handicapés intellectuels où je suis devenu entraîneur adjoint. Chacun des athlètes côtoyés m’a profondément ému. Je vous propose quelques portraits de ces êtres attachants et des multiples défis qu’ils affrontent au quotidien.

Maddie, 62 ans, est une de nos meilleures nageuses. Elle enfile les longueurs calmement, à son rythme, avec une technique impeccable. Je suis jaloux de sa forme physique.

Mais pas de sa situation.

Maddie est amusante et il est agréable de converser avec elle. De sorte qu’il faut s’attarder pour voir un dysfonctionnement chez elle. Elle n’a que de la difficulté à s’organiser et à prendre les bonnes décisions. Elle tire le diable par la queue. Elle a peiné à éduquer ses enfants, à conserver un emploi et à suffire à ses besoins. Elle préfère consacrer ses maigres revenus à se faire tatouer une licorne sur la cheville plutôt qu’à consulter le dentiste.

Salut, Maddie, comment va ta fille ? *

Elle remonte la pente tranquillement.

On a confié son enfant à la DPJ.

Ça n’allait pas avec son mari ?

Il a aussi trois autres enfants, tous placés par la DPJ…

*La fille de Maddie nageait aussi dans notre club, il y a deux ans, avant son mariage.

Sa candeur en fait une proie facile. Récemment, elle a été expulsée de son logis, ce qui l’a plongée dans une itinérance momentanée. Après une période d’accueil dans des refuges temporaires, des organismes caritatifs lui ont finalement trouvé un lieu pour crécher. Destiné aux personnes âgées, l’environnement n’est pas parfait pour elle, mais c’est nettement mieux qu’un banc de parc.

Comme elle n’est pas lourdement handicapée, Maddie n’a pas eu droit à des services adaptés complets pour améliorer sa condition. Les personnes fortement atteintes sont prises en charge et on essaie de les outiller le mieux possible dès l’enfance. Maddie est juste à la limite. Elle souffre plus des conséquences de l’ignorance et de la pauvreté que de troubles cognitifs. Ce qui fait que son état n’a jamais été une réelle priorité. Pourtant, elle est celle qui utilise le plus les services d’urgence. Les économies d’hier coûtent cher aujourd’hui et engendrent des conséquences désastreuses.

Si seulement elle pouvait être aussi en contrôle dans la vie que dans la piscine. Admirable Maddie.

Des gens de cœur

Chaque athlète mériterait un chapitre. La gentille Cindy – la mère de tous les athlètes –, Marilou, qui trouve toujours l’eau trop froide…

Mais il faut rendre hommage à tous les merveilleux bénévoles qui entourent le club. Chacun apporte son cœur chaque semaine. Rien de cela ne serait possible sans Alain, l’entraîneur-chef depuis des millénaires. Il est le seul entraîneur véritablement compétent, on n’ose penser à ce qui arrivera lorsqu’il n’y sera plus. C’est souvent le cas pour les activités pour handicapés qui ne tiennent souvent qu’à un fil… ou à un entraîneur dévoué.

Gouttelettes de bonheur

Jean : confiance aveugle

J’ai découvert une bande de personnes merveilleuses grâce à un club de natation pour handicapés intellectuels où je suis devenu entraîneur adjoint. Chacun des athlètes côtoyés m’a profondément ému. Je vous propose quelques portraits de ces êtres attachants et des multiples défis qu’ils affrontent au quotidien.

Jean, 55 ans, est un colosse doux comme un agneau. Sa voix au timbre chaud est empreinte de gentillesse. Il fait partie du club depuis de nombreuses années. Il est aveugle de naissance et personne n’affiche autant de résilience que lui.

Sa routine est minutieusement réglée : serviette, sandales et bonnet de bain sont soigneusement rangés pour pallier son handicap visuel. Il prend toujours le même couloir pour nager. Son bras frotte toujours le cordon flottant qui sépare les couloirs pour qu’il puisse se repérer dans la piscine.

Lors des compétitions, nous devenons ses yeux. Il est tellement docile qu’il est facile de l’oublier lors de ces sorties.

Après une éreintante journée de compétitions, les autres athlètes se sont réunis dans la chambre de l’entraîneur pour fraterniser. Incapable de s’y rendre seul, Jean était discrètement resté dans sa chambre.

« Mais où est Jean ? »

« Jean, tu viens avec nous. »

« Non. Je suis bien ici. »

« Tu veux que je t’allume la radio ? »

« Mouiiiiiii… »

Lors des compétitions, sa routine est partiellement brisée, mais il nous laisse le guider… aveuglément. Loin d’être une corvée, cette tâche représente pour nous un véritable honneur. En temps normal, je me rangerais derrière sa puissante charpente pour me protéger, mais là, c’est moi qui tiens le rôle de protecteur et lui évite les écueils. Jean aura toujours besoin d’une assistance immédiate et c’est ce qui suscite l’inquiétude.

Il vit toujours à la maison familiale située à la campagne avec sa mère de 87 ans en perte d’autonomie et sa sœur, qui se charge d’eux. Puisqu’il est le cadet d’une famille de 13 enfants, on se dit qu’il y aura toujours quelqu’un pour s’occuper de lui, qui est si peu exigeant. Pour leur compliquer la tâche, la MRC d’Autray vient d’annoncer sans préavis que le transport adapté ne serait plus assuré le dimanche, jour d’entraînement de natation. Dur coup pour ce colosse au cœur tendre qui nage depuis l’âge de 6 ans. Mais surtout pour sa famille qui doit maintenant assurer le transport.

Je ne m’inquiète pas tellement pour son sort. Nul n’est plus résilient que lui et sa grande gentillesse constituera un atout pour lui trouver un foyer d’accueil aimant. Go Johnny Go.

Il préfère les Salebarbes

Perdre un sens aiguise les autres. Jean a l’ouïe très fine. Très pratique dans un univers de béton aussi bruyant qu’une piscine, où se répercutent les cris, les clapotis et les bruits de succion des pompes filtrantes qui avalent l’air à cause des vagues.

Pas besoin de grands indices sonores pour que Jean sache qui est là et à quelle distance. Nous avons inventé un petit jeu de complicité. Lorsque j’arrive à sa hauteur, je chantonne un air que lui seul entend. Ainsi, il a découvert Radiohead, lui, fidèle auditeur de Radio Saint-Gabriel, il préfère les Salebarbes.

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