Pénurie de psychologues dans le réseau public

Les prochains mois s’annoncent difficiles pour la population

Les auteurs s’adressent au premier ministre du Québec, François Legault

Monsieur le Premier Ministre, depuis plus de trois ans, la Coalition des psychologues du réseau public québécois (CPRPQ) a eu de multiples échanges avec vos conseillers et certains de vos ministres. L’objectif était de les informer de la pénurie croissante de psychologues dans le réseau public et de travailler ensemble à la résolution de ce problème afin de limiter les répercussions sur la société et l’économie québécoises.

Malheureusement, la situation n’a fait que s’aggraver. Nous pensons donc qu’il est devenu urgent de vous en aviser.

Comme vous le savez vraisemblablement :

  • Le Québec fait face à une pénurie importante de psychologues dans le réseau public au détriment du secteur privé, et ce, alors que les effectifs pour les autres titres d’emploi du domaine psychosocial (travailleuses sociales et psychoéducateurs, par exemple) présentent une croissance soutenue ;
  • Le plan d’investissement que nous avons remis à vos ministres, qui propose notamment l’embauche de 450 psychologues avec un rattrapage salarial de 30 %, coûterait seulement 155,5 millions de dollars et engendrerait un retour sur investissement de 228 millions annuellement – en considérant seulement les économies liées aux visites chez les médecins de famille, aux visites à l’urgence et aux hospitalisations ;
  • Les psychologues sont aux prises avec un problème majeur de représentation. Sur le plan syndical, ils sont classés dans la catégorie des techniciens et des professionnels de la santé et des services sociaux, même s’ils sont les seuls détenteurs d’un doctorat. De nombreuses démarches ont eu lieu auprès des syndicats pour que la rémunération des psychologues soit ajustée en fonction de leur formation et de leurs responsabilités. Malheureusement, puisque ces derniers sont jumelés à plus de 100 titres d’emploi et qu’ils représentent une infime minorité (moins de 3 % des membres), leur voix ne peut être entendue. C’est précisément à cause de ce problème structurel que 97 % de nos membres sont déterminés à former un regroupement de psychologues avec droit de négociation.

C’est sans même nous consulter que le ministre délégué Lionel Carmant a récemment annoncé son plan interministériel en santé mentale. Ce plan prévoit un certain nombre de dispositions intéressantes, mais qui ne régleront pas la pénurie de psychologues dans le réseau. Une des mesures phares du plan consiste à déployer plus d’infirmières praticiennes spécialisées. Et pourtant, la plupart d’entre elles ne sont pas habilitées à pratiquer la psychothérapie, qui est souvent le traitement le mieux indiqué pour traiter les troubles de santé mentale.

Le ministre mise aussi sur le recrutement de doctorants en ouvrant des postes dans les milieux où ils font leurs stages. Or, si cette mesure est un pas dans la bonne direction, elle ne peut résoudre le problème d’attraction et de rétention.

Les chiffres sont très clairs : 75 % des finissants affirment qu’ils souhaiteraient travailler dans le réseau public, mais seulement 25 % le font. Quant à ceux qui intègrent le réseau public, 40,5 % quittent leur emploi dans les cinq premières années de pratique pour aller travailler dans le domaine privé.

La raison principale de ce désengagement concerne le manque de reconnaissance de la profession dans le réseau public. D’ailleurs, grand nombre de postes actuels demeurent vacants, ce qui indique très clairement que le problème réside dans l’attraction des psychologues et non dans la disponibilité des postes.

Il convient enfin de se demander : qu’adviendrait-il de ce plan s’il n’y avait plus de psychologues pour superviser les stages dans le réseau public ? Le ministre délégué Lionel Carmant est-il prêt à en assumer les conséquences politiques, économiques et sociales ? Permettez-nous d’en douter !

Nous avons tenté de travailler en collaboration avec les membres des cabinets concernés en vue de résoudre le problème, allant même jusqu’à appuyer publiquement dans les médias certaines des mesures pourtant insuffisantes proposées par M. Carmant.

Il est toutefois de notre devoir de vous informer que le ministre délégué et les attachés politiques qui ont travaillé sur ce dossier ne saisissent pas l’ampleur du problème auquel ils font face. En fait, si rien n’est fait rapidement, les prochains mois s’annoncent très difficiles pour la population, mais aussi pour le gouvernement, lesquels pourraient subir les conséquences d’une panoplie de répercussions, notamment un possible boycottage des stages dès l’automne prochain. En effet, ce sont des dizaines de psychologues qui nous écrivent pour nous indiquer qu’ils sont trop débordés pour superviser des stagiaires ou pour nous faire part de leur intention de quitter le réseau public. Nous désirons tirer la sonnette d’alarme : si rien n’est fait, c’est par centaines que les psychologues du réseau public pourraient prendre la décision de partir sans que nous puissions les retenir.

Voilà pourquoi nous voulions vous informer de la situation de crise qui se dessine à l’horizon, avec l’espoir continu que nous pourrons collaborer pour y remédier. La population québécoise ainsi que les médecins demandent que l’accès aux psychologues soit amélioré dans le réseau public. Il est donc urgent de mettre en place les solutions requises afin que tous ceux qui en ont besoin puissent accéder à leurs services.

* Cosignataires : Béatrice Filion, psychologue, vice-présidente secrétaire de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Youssef Allami, psychologue, administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Jenilee-Sarah Napoleon, psychologue, administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Marc-André Pinard, psychologue, administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Connie Scuccimarri, psychologue, administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Stéphanie Tremblay, neuropsychologue, trésorière de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ; Loredana Marchica, psychologue, responsable de communication pour la Coalition des psychologues du réseau public québécois

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