Le potager du moindre effort

Après 30 années d’expérimentations sur le terrain, et presque autant passées à bêcher, arroser et désherber, Marie-Thérèse Thévard en est venue à ce constat libérateur : la terre a ce qu’il faut pour s’autoréguler. C’est le fruit d’un « moindre effort » guidé par une absence totale de paresse.

C’est dans la baie du Saguenay, là où la neige recouvre le sol la moitié de l’année et où la température frise souvent les - 30 °C en hiver, que Marie-Thérèse Thévard — surnommée Marie-Thé — a maintenu le pari courageux de nourrir en grande partie cinq bouches à même les produits de son jardin vivrier.

« Si elle a pu le faire dans un climat aussi rude et sans technologie, c’est que c’est accessible à bien des gens », souligne sa fille Marie Thévard, qui documente la démarche de sa mère et l’enrichit de son bagage d’agronome, dans un ouvrage bien détaillé et éclairant qui apporte des solutions concrètes aux jardiniers, tout en proposant une réponse à des problèmes environnementaux actuels.

Marie-Thérèse Thévard a lutté à sa façon contre les maux de notre époque, fidèle à son engagement de joindre le geste à la parole en limitant son impact sur la nature et les humains. « Pendant des années, elle n’a pas mangé de chocolat avant de pouvoir se procurer des produits équitables », relate sa fille.

Tout ça se résume par un mot, indique la principale intéressée : « Le respect. Celui des êtres humains, de la nature et de l’environnement. Et puis le sens du devoir envers les générations futures. » On ne peut que s’incliner devant cette démarche sincère et l’énergie colossale déployée pour la concrétiser au jour le jour, sur des années.

Fidèle à ses convictions

Le parcours de cette jardinière hors du commun prend racine au début des années 1960, dans le Loiret, en France, dans ce qui est probablement le dernier vestige d’un mode de vie paysan. Les parents de Marie-Thé, vignerons et agriculteurs, lui inculquent le respect de la nature et cette fierté de faire soi-même.

C’est toutefois en lisant Vivre sain, de Raymond Destreit, puis en découvrant les enseignements de Gandhi, qui prône la paix et l’autoproduction de biens essentiels, qu’elle réalise l’importance de l’écologie et d’investir dans la santé. Marie-Thérèse devient végétarienne et incarnera désormais ce dicton voulant que « nous sommes ce que nous mangeons ».

Ce virage bien senti aurait pu être passager : il a plutôt guidé la suite de sa vie. En 1988, elle émigre au Québec et s’installe sur une terre saguenéenne achetée avec un groupe de recherches écologiques. C’est là qu’elle élèvera ses quatre enfants, motivée par le désir de leur fournir une alimentation fraîche et de cultiver sa propre nourriture.

Cet écohameau compte des bâtiments rudimentaires. C’est sans eau courante l’hiver et sans autre chauffage qu’un poêle et une cuisinière à bois qu’elle passe 11 années à réchauffer de façon artisanale les matins où la température n’atteint pas les 10 °C à l’intérieur. Faire pousser ce qui constitue l’essentiel des repas, sur les rives du Saguenay, en zone 3b, comporte par ailleurs bien des défis. Marie-Thé s’accroche néanmoins, modifie ses habitudes alimentaires pour incorporer des fruits et légumes adaptés aux terres du Nord et faciles à conserver pour traverser les mois plus durs.

Un mode de vie branché sur la terre

En 2001, la famille obtient l’autorisation de bâtir une maison adaptée aux besoins de la vie quotidienne : une construction bioclimatique isolée aux ballots de paille et chauffée avec un poêle de masse. La porte d’entrée donne sur la cuisine et s’ouvre sur le jardin, tandis qu’un caveau permet d’entreposer les légumes pour l’hiver. La salle à manger et le salon profitent de la lumière qui entre au sud par de grandes fenêtres.

Le jardin, d’une superficie d’un quart d’hectare, fournit une grande partie de l’alimentation de toute une année et contient une variété de légumes, de fruits (amélanche, camerise, cassis, gadelle, groseille, kiwi arctique, vigne…), d’aromates, d’oléagineux (camelin, lin) et de céréales (amarante, avoine, blé, maïs, quinoa et sarrasin). Marie-Thé fabrique son propre tofu, fait sécher ses herbes et légumineuses, met en conserve, récolte les semences.

Pas d’intrants de produits de synthèse dans le jardin de Marie-Thé. Par principe, elle travaille sans machinerie pour limiter sa consommation de pétrole et utilise plutôt l’énergie humaine afin que son jardin soit « producteur d’énergie et non consommateur ». Elle accueille en revanche des wwoofers, ou visiteurs, qui viennent l’aider à cultiver en échange d’un hébergement.

Le non-travail du sol

Une blessure à la hanche la force toutefois à revoir ses pratiques, en 2012. Marie-Thé a déjà expérimenté le non-travail du sol, mais s’y met avec plus (ou moins) d’insistance. Les légumes de son potager n’ont jamais été aussi beaux et gros ; le sol, aussi riche que depuis qu’elle intervient peu pour ne pas en perturber l’équilibre. À la vue des résultats, elle propose aujourd’hui de revoir notre conception du métier de jardinier.

Recouvrir en permanence le sol de paillis donne le même résultat que le labour, constate-t-elle. Il permet, de surcroît, de faire un bond en productivité et en efficacité.

« La qualité du sol repose sur un équilibre fragile. Si on le dérange continuellement, le sol s’assèche et perd de sa vitalité. »

– Marie-Thérèse Thévard

Or, les pratiques de l’agriculture consistent traditionnellement à mettre la terre à nu, ce qui la force à recréer sans cesse son macrobiote.

Le pari de Marie-Thérèse Thévard est plutôt de laisser agir les microorganismes qui vivent dans le sol et l’aèrent en creusant des galeries et en produisant de l’humus, tout en leur fournissant du « carburant » en quantité suffisante. On participe ainsi à fortifier ces colonies et à les faire croître.

En recouvrant le sol d’une épaisse couche de paillis (10 cm) constituée de matière végétale (résidus de la tonte, feuilles mortes, foin sec, bois raméal [on évite le cèdre]) et de matières organiques, on s’épargne du même coup les corvées de labour, de désherbage et d’arrosage. « À l’automne, on recouvre le sol. Il suffit d’écarter le paillis pour planter au printemps et d’en rajouter ensuite au fur et à mesure qu’il se décompose », conseille-t-elle.

Elle applique par ailleurs la technique de rotation des cultures et favorise le bon compagnonnage. Le jardin de Marie-Thé est visiblement fertile. Les semences qu’elle y a plantées aussi. Aujourd’hui, ses enfants, devenus adultes, reviennent au hameau. Pour sa qualité de vie, pour vivre en harmonie avec leurs convictions et pour poursuivre les recherches d’une mère inspirante.


Le Jardin vivrier, autosuffisance et non-travail du sol

Marie Thévard

Écosociété


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