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Le match revanche Coderre-Plante en un dicton : rira bien qui rira le dernier ou la dernière.

Opinion : Développement international

L’art de détruire l’expertise canadienne

L’Agence canadienne de développement international (ACDI) a été créée en 1968 pour aider les pays en développement à améliorer leur situation sociale et économique, dans un contexte de décolonisation et d’accession à l’indépendance. Depuis, l’ACDI et un grand nombre d’institutions canadiennes ont pu bâtir une solide expertise répondant aux besoins évolutifs des pays en développement.

En 2013, le gouvernement Harper a fusionné l’ACDI au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). Tout indique que cette décision est loin d’avoir amélioré la gestion de l’aide internationale du Canada, maintenant de plus de 6 milliards de dollars par année.

En 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a critiqué l’organisation trop centralisée et bureaucratique du programme d’aide canadien, et noté que le personnel n’avait pas toujours accès aux ressources professionnelles et techniques pour mettre en œuvre la nouvelle politique féministe d’aide annoncée en 2017.

La revue a aussi constaté le manque de plans pour l’efficacité de l’aide, pour l’engagement des pays bénéficiaires, ainsi que pour la mise en place de partenariats inclusifs. Enfin, l’OCDE a conclu qu’il n’y avait pas vraiment de plus grande cohérence entre l’aide au développement, la diplomatie et les politiques commerciales du nouveau ministère, pourtant la raison principale invoquée pour effectuer la fusion.

Aide et politique

Lors de la fusion, le personnel de l’ACDI s’est retrouvé dans un environnement dominé par le personnel de la politique étrangère. Selon les rapports d’Affaires mondiales Canada (AMC), les questions de sécurité et paix, de l’aide multilatérale et des enjeux mondiaux ont bénéficié de plus d’investissements depuis 2014 que l’aide bilatérale traditionnelle (de pays à pays). L’aide se politise de plus en plus : par exemple, l’Ukraine, qui n’est pas un pays en développement, a reçu des fonds canadiens de près de 800 millions en six ans. La prédominance de l’aspect politique risque aussi de mettre hors jeu un nombre croissant d’institutions canadiennes pourtant réputées à l’étranger. Ainsi, il est plus facile pour AMC de transférer des fonds aux organismes multilatéraux, plutôt que de développer des programmes avec les partenaires locaux et canadiens.

La coopération et l’aide internationale sont encore plus nécessaires que jamais en contexte post-pandémie pour aider les pays moins favorisés à faire face aux nombreux défis tels que la lutte contre la pauvreté, l’adaptation aux changements climatiques, l’appui à une gouvernance démocratique, l’accès équitable aux services de base et la prévention des épidémies.

Ce n’est pas qu’une question de compassion, de charité ou de solidarité, il en va aussi de notre propre intérêt de vivre dans un monde plus juste, équitable, sécuritaire et prospère.

La gestion du programme d’aide internationale du Canada, à cause de son ampleur et de sa complexité, doit être assurée par des personnes ayant une longue expérience et une connaissance approfondie du développement durable, juste et équitable dans un contexte d’interdépendance. Pourtant, à l’heure actuelle, à peu près aucun haut dirigeant d’AMC responsable de programmes d’aide et de coopération au développement ne possède l’expérience et les connaissances de la mise en œuvre de programmes de développement international.

La situation sur le terrain s’est aussi passablement détériorée, moins de gens étant intéressés par une affectation à l’étranger puisque cette expérience est de moins en moins valorisée. De plus, toute l’infrastructure locale de ressources techniques et professionnelles mise en place par l’ACDI pour appuyer la mise en œuvre des programmes de développement a pratiquement disparu, conséquence des exigences réglementaires perverses qui comprennent difficilement les adaptations qu’exigent la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des droits de la personne ou la lutte contre les changements climatiques.

Au siège, le personnel fait face aux nombreux processus bureaucratiques non facilitants qui régissent la gestion de programmes et de projets ainsi que les relations avec les partenaires. Cette connaissance du red tape est plus valorisée que l’expérience du développement. Enfin, le personnel technique et professionnel venant en appui au développement des politiques et à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes a été réduit au strict minimum.

Le budget de l’Aide publique au développement (APD) a sensiblement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau. Toutefois, le ratio APD/PIB a continué de baisser alors qu’il est de 0,026 %, plaçant le Canada au 16e rang de l’OCDE. Mais AMC a de moins en moins le personnel possédant les connaissances profondes et l’expérience requise pour gérer et mettre en œuvre efficacement le programme d’aide internationale du Canada.

Cette situation doit être corrigée si on veut que le Canada reprenne son leadership dans ce domaine. On devrait envisager sérieusement la recréation d’une agence spécialisée et indépendante, dotée de gens d’expérience, et fonctionnant majoritairement dans le cadre d’accords de partenariat inclusifs avec les pays et populations partenaires, ainsi qu’avec les institutions internationales et canadiennes.

* Cosignataires, membres du GREDIC, formé d’anciens dirigeants d’organismes de coopération et de l’ACDI : Robert Letendre, Nicole St-Martin, Nigel Martin, Yves Pétillon, Pierre Véronneau

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