Le fiasco crypto de FTX

« C’est seulement quand la marée se retire qu’on découvre qui nageait nu », a constaté Warren Buffett pendant la crise financière de 2008. Cette fois, des investisseurs sont surpris à poil par l’effondrement de la plateforme FTX, vedette de l’univers crypto.

Des institutionnels réputés ont perdu 1,9 milliard US dans le capital de FTX, dont Ontario Teachers, BlackRock, SoftBank, Temasek et Sequoia. La Caisse, qui a brûlé 150 millions dans Celsius, est en belle compagnie.

Pire est le sort d’un million de clients pris dans un trou de 8 milliards dans les liquidités. La faillite de la deuxième plus importante plateforme de cryptos projette une onde de choc qui fera d’autres victimes.

Voici l’histoire de Sam Bankman-Fried, SBF pour faire court, brillant et sympathique jeune Américain de 30 ans en culotte courte, philanthrope et donateur démocrate. Sa fortune de 24 milliards s’est envolée en fumée.

Son empire de 32 milliards comprend FTX Trading, une plateforme où se négocient des cryptomonnaies, et Alameda Research, un fonds de couverture qui mène des opérations d’arbitrage. SBF et une dizaine de copains (et amants) cohabitent et dirigent ces entreprises dans un condo des Bahamas, sans regard pour la gouvernance.

FTX et Alameda ont multiplié les acquisitions et les placements privés dans 500 compagnies de cryptos et 40 fonds de capital-risque, financés par des emprunts à court terme. FTX était sur le point de boucler l’achat de la plateforme canadienne Bitvo.

Retrait de la marée

Le retrait de la marée qui soutenait les marchés est survenu ce printemps, avec la hausse des taux d’intérêt. Le bitcoin et autres cryptomonnaies ont plongé, provoquant la faillite du fonds de couverture Three Arrows Capital.

Échaudés, les créanciers d’Alameda ont rappelé leurs prêts, garantis par des cryptomonnaies dépréciées. À court de liquidités, Alameda a « emprunté » 10 milliards aux clients de FTX — sans leur consentement !

CoinDesk, un site d’information spécialisé, a sonné l’alarme, constatant que le bilan d’Alameda comportait une forte proportion de FTT, le jeton émis par FTX.

Puis, tout s’écroule en une semaine. Le grand rival et roi des cryptos, Changpeng Zhao, patron de Binance, annonce son désir de liquider les 500 millions en FTT obtenus contre la vente d’une participation dans FTX. Apeurés, des clients se précipitent pour sortir 6 milliards ; Zhao propose de sauver FTX, puis retire son offre. La course sur les dépôts se termine par le dépôt du bilan.

Les autorités américaines et bahamiennes ont bloqué les avoirs et font enquête. Des poursuites civiles et criminelles sont en vue.

Comme un malheur ne vient jamais seul, un pirate a dérobé 600 millions en cryptos, malgré le gel des opérations.

Chapelet d’erreurs

La poussière n’est pas retombée, mais des vulnérabilités classiques sont apparentes.

D’abord l’opacité du bilan qui ne permet pas d’apprécier la qualité des actifs garantissant les dépôts des clients. Ensuite, l’absence du prêteur de dernier ressort que sont les banques centrales, qui appuient les banques traversant une crise de liquidité.

Une croissance rapide par acquisitions, financée par des emprunts à court terme, de même que le levier poussé à fond pour générer des rendements plantureux sur des arbitrages de quelques cents.

La concentration du pouvoir dans les mains d’une personne à l’ego surdimensionné, sans contrôles internes, ni règles sur les conflits d’intérêts. SBF et deux collègues formaient le conseil d’administration, sans investisseur institutionnel comme contrepoids à l’entrepreneur visionnaire.

Surtout, la tentative criminelle de sauver l’entreprise en pigeant dans le compte des clients, un risque qu’aurait éliminé la garde des valeurs par une institution indépendante.

Devant cet échec, Chanpeng Zhao (connu par ses initiales CZ) s’engage à plus de transparence dans la composition du bilan et propose un fonds pour secourir les plateformes en crise de liquidité.

Ironiquement, SBF était le « bon gars » qui dialoguait avec les régulateurs et les législateurs américains, et qui soutenait un encadrement léger de l’industrie. CZ, le « mauvais garçon », s’y opposait fermement et se disputait avec les régulateurs. Binance n’est pas autorisée au Canada ni ne l’était FTX.

CZ, un Canadien d’origine chinoise habitant Dubaï, a éliminé le siège de Binance pour se défiler des autorités. Aujourd’hui, ce libertarien se dit ouvert à la réglementation et promet une gestion prudente de la plus grande plateforme crypto au monde. À voir.

La balle est maintenant dans le camp des régulateurs qui doivent relever le défi d’une coordination internationale. Comment encadrer une industrie apatride qui peut facilement fonctionner par internet depuis une juridiction complaisante ?

Espérons que les investisseurs insisteront à l’avenir pour négocier sur des plateformes encadrées par des autorités compétentes. Autrement, l’actuel hiver crypto pourrait devenir glaciation.

Consultez la liste des plateformes de négociation de cryptoactifs autorisées au Québec

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