Opinion Boucar Diouf

Legault et Trudeau ou vaccins et scrutins

Même si certains commentateurs essayent de présenter l’approvisionnement en vaccins de Justin Trudeau comme étant finalement une surprenante réussite, la vérité, c’est que dans cette course des nations, le Canada traîne loin derrière pour ce qui est de l’avancement de la vaccination.

Pour l’ensemble de l’œuvre, l’enseignant en moi ne donne pas plus que la note de passage au Justin nouveau. Je parle ici du Justin qui bombe le torse, blague avantageusement avec le copain François et joue même au justicier contre le Québec bashing.

Pourtant, cette francophobie décomplexée qui est solidement ancrée dans une certaine élite médiatique et intellectuelle de l’anglophonie canadienne ne semblait pas le déranger outre mesure depuis son arrivée au pouvoir. Pourtant, lorsque vient le temps de parler d’exclusion, cette discrimination systémique historiquement banalisée envers le Québec francophone est un angle mort qu’il ne faut jamais oublier. Si Justin semble subitement prendre à cœur ces manifestations d’intolérance, c’est surtout parce qu’il pense que le rendez-vous électoral n’est plus très loin.

Tout semble lui sourire, car sa campagne électorale, il l’a, en partie, largement financée avec les fonds publics en donnant sans compter et sans se préoccuper de la gigantesque dette laissée aux jeunes, y compris ceux qu’il proposait de rémunérer pour faire du bénévolat. Mais bon, il paraît, selon bien des spécialistes, que cette générosité très dépensière était la bonne chose à faire pour éviter aux Canadiens un drame économique doublé d’une crise sanitaire.

Chose certaine, advenant des élections ce printemps ou un peu plus tard, beaucoup de gens se souviendront à la fois du Justin généreux et du pourvoyeur de ces vaccins qui auront permis de retrouver un semblant de normalité.

Beaucoup auront oublié ses déboires autour du contrôle des aéroports, des frontières et des voyageurs qui refusaient de se confiner. Qui se souviendra aussi des problèmes d’approvisionnement en matériel médical et autres nombreuses bourdes organisationnelles largement soulignées par la vérificatrice générale du Canada qui ont empêché de distancer le virus à la hauteur des sacrifices imposés aux populations pendant la première vague ? Pas grand monde, car la politique est aussi l’art d’exploiter la mémoire à court terme du genre humain.

Ses sondages sont encourageants, les vaccins coulent dans les bras, Justin serait fou de ne pas profiter du momentum pendant que le chef Erin se débat encore avec des positions moyenâgeuses des adeptes d’appropriation utérine et autres nihilistes des changements climatiques tapis dans son parti. Comme les grands reptiles du crétacé dont le règne s’est effondré il y a 66 millions d’années à cause d’un épisode climatique, le Parti conservateur du Canada pourrait aussi disparaître tranquillement, emporté par ses propres dinosaures incapables de s’adapter aux nouvelles réalités environnementales et sociales de la planète.

Ainsi, à l’orée d’une campagne électorale, à moins d’un revirement spectaculaire, les sondages nous indiquent encore que nous serons tenaillés entre deux aspirants principaux affichant des nuances de vert pas très emballantes. Côté Justin, à part quelques petites avancées et malgré la présence des Catherine McKenna et Steven Guilbeault, l’environnement, c’est un beau vernis, voire un projet de mystification électoral.

Si on regarde du bord des troupes conservatrices, traditionnellement, quand on y parlait de couper dans les émissions, on pensait beaucoup plus au financement de CBC/Radio-Canada qu’aux gaz à effet de serre.

L’histoire nous dira d’ailleurs rapidement si le pied de nez fait aux adorateurs de combustibles fossiles par Erin O’Toole, en reconnaissant enfin l’existence d’une crise climatique planétaire, sera une position tenable dans son parti.

Mais revenons à Québec.

Le premier ministre Legault, lui, a toujours géré la pandémie avec beaucoup d’empathie. Ce qui fait que même si la traversée de la première vague a été particulièrement meurtrière au Québec, sa place dans le cœur d’une grande partie de la population est inébranlable. Ces gens l’aiment et lui pardonnent tout, ce qui contraste avec la vision d’une minorité réfractaire aux mesures sanitaires qui l’affuble des qualificatifs les moins poétiques du dictionnaire. Si Justin semble marcher vers la lumière guidé par l’arrivée des doses, pour Legault, la vaccination est une occasion en or de faire oublier les zones d’ombre de sa gestion de la pandémie.

Depuis que le Québec trotte devant l’Ontario pour ce qui est de la vitesse de vaccination de sa population, j’entends beaucoup de personnes souhaiter que l’on coiffe le reste du Canada au fil d’arrivée des campagnes d’immunisation.

Ce désir secret d’une revanche sur fond de nationalisme est certainement dans le radar du gouvernement Legault. Ce serait, en effet, un becquer bobo d’ego pour une fierté égratignée par l’hécatombe de la première vague dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Oui, il y a des gens qui trouvent que le Québec a surévalué la mortalité par la COVID-19 en y incluant des gens décédés d’autre chose. C’est une possibilité, mais ce que l’histoire retiendra sans aucune nuance, c’est que le Québec a été la nation canadienne la plus endeuillée par la COVID-19. Alors, ce désir de surpassement dans la vaccination doit aussi à une envie de tasser cette contre-performance. Comme au marathon, on peut traîner derrière le peloton pendant une bonne partie de l’épreuve et profiter de ses réserves d’énergie pour imposer le tempo final et monter sur le podium.

Ce qui est équitable avec cette course à la vaccination, c’est qu’il n’y aura pas d’excuses du genre : c’est la faute à la semaine de relâche, au sous-financement de la santé ou aux tergiversations de Justin autour de la fermeture des frontières et des aéroports, etc. Dans cette course contre les mutants du SARS-CoV-2, toutes les provinces canadiennes partent du même point de départ, avec les mêmes outils.

Construire un château de cartes a beau être long et délicat, poser la dernière pièce y représente l’étape la plus cruciale. Si cette dernière carte est mal placée, le château s’écroule. C’est pour cette raison que toutes ces promesses de vaccination ambitieuses avec la très symbolique date du 24 juin en caractères gras ne sont pas banales. Si, comme le souhaite certainement le duo Legault-Dubé, le Québec monte sur une plus haute marche du podium que l’Ontario à la fin de la campagne d’immunisation, la mémoire électorale risque sélectivement de retenir bien plus cette glorieuse prouesse que tout le reste. Comme au spectacle, la finale explosive fera alors partiellement oublier les désagréables longueurs du début de la représentation. Autrement, cette médaille de la vaccination deviendra un pendentif politiquement significatif.

Mais en attendant ce jour encore hypothétique, il faut être sourd pour ne pas réaliser que la mise en priorité de la vaccination des Montréalais pendant que les variants sèment la panique en région fait de plus en plus rager. À mon avis, il faudra rapidement corriger ce que beaucoup commencent à voir comme une discrimination géographique si le CAQ ne veut pas briser quelque chose. La confiance, disait l’autre, c’est comme un château de sable : si dur à construire, mais si facile à détruire.

En somme, disons qu’au-delà des annonces conjointes d’investissement, Justin et François, les deux meilleurs nouveaux potes printaniers, cherchent la même chose. Pour Justin, vacciner rapidement le Québec pourrait être un outil pour demander à la population de lui redonner cette majorité perdue qui semble l’avoir plongé dans une grande morosité. Du côté de Legault, cette performance pourrait changer le « narratif » de la pandémie. Bref, pour les deux, la campagne d’immunisation est un joker capable d’influencer une carte électorale. Mais tout ça est conditionnel à ce que le nationalisme vaccinal ne vienne pas chambarder les plans. S’il est vrai, comme le répétait Trudeau au début de la pandémie, que le virus ne connaît pas de frontières, il nous a aussi rappelé que c’est en temps de crise qu’on réalise à quel point la génétique de « les nôtres d’abord » est profondément enracinée dans le genre humain.

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