EXTRAIT

Le carnet écarlate. Fragments érotiques lesbiens, d’Anne Archet

« Le soir, insomniaque, elle me branle délicatement. Le matin, elle se plaint d’avoir sommeil, mais me branle énergiquement. Impossible qu’on me branle sans adverbe ; on serait tenté de croire qu’il est impossible de se faire branler ironiquement, mais croyez-moi, elle arrive à le faire. En ce qui me concerne, peu m’importe si on me branle habilement ou maladroitement, en autant qu’on ait la délicatesse de terminer ce qu’on a entrepris. »

LITTÉRATURE ÉROTIQUE ANNE ARCHET

Les mots pour jouir

Le carnet écarlate. Fragments érotiques lesbiens

Anne Archet

Les Éditions du remue-ménage 141 pages

Anarchiste. Lesbienne. Pornographe. Cruciverbiste pas mal crue. Versificatrice de faits divers. Blogueuse de longue date. Sous le pseudonyme d’Anne Archet se cache l’un des mystères les plus persistants du web québécois.

Personne ne connaît l’identité réelle de cette plume prolifique qui sévit depuis plus de 10 ans sur l’internet, que ce soit par le blogue érotique archet.net (où chaque mois elle crée des grilles de mots croisés osés) ou le plus politique Blog flegmatique d’Anne Archet (« Ni dieu, ni maître, ni petite culotte » est le sous-titre), flegmatique.net, ou enfin sur les réseaux sociaux, quand elle s’amuse à transformer les nouvelles les plus sordides en poèmes.

C’est avec surprise que son fan-club a appris cet automne qu’Anne Archet allait se commettre dans une publication, Le carnet écarlate. Fragments érotiques lesbiens, illustrée par Mélanie Baillairgé, un recueil subversif et sulfureux, drôle et baveux, qu’on devrait lire d’une seule main. Afin de préserver l’anonymat auquel elle tient tant, nous lui avons proposé une entrevue sous forme de clavardage. Pour le simple plaisir de « chatter » avec l’auteure…

Chantal Guy : Pour commencer, explique-moi pourquoi ton compte Facebook a été supprimé…

Anne Archet : Un sympathique anonyme m’a dénoncée pour faux et usage de faux. Sur une simple dénonciation, je suis sommée de prouver que je m’appelle bien Anne Archet.

Chantal Guy : Je me trompe ou ce n’est pas la première fois que ça t’arrive ?

Anne Archet : Les autres fois, c’est parce que les couvertures de mes ebooks montrent un peu trop de peau. Ça choque les « valeurs de la communauté ». Qu’une entreprise transnationale se qualifie de communauté, c’est très savoureux. Ou encore, d’entité ayant des valeurs.

En tout cas.

Les mamelons, c’est mal.

Et les pénis, c’est encore pire.

C’est SATANIQUE.

Chantal Guy : Tu aimes bien choquer ? Qu’est-ce qui choque le plus à ton avis : l’anarchisme ou l’érotisme ?

Anne Archet : Je ne fais rien pour choquer délibérément. C’est plutôt le fait d’être choquée qui me fait écrire. Quant à ce qui choque le plus… Ça dépend du public.

Chantal Guy : Pourquoi es-tu donc choquée ?

Anne Archet : Je suis une petite fleur délicate et sensible. En plus d’être porteuse de plus de bibittes que l’Insectarium. Par exemple, les faits divers des journaux me traumatisent. Je ne peux pas croire qu’il y a des gens qui sont payés pour couvrir ça.

L’HORREUR.

Alors moi, je les versifie. C’est une façon de les tenir à distance. Dans la fiction. Les fantasmes, c’est comme ça qu’ils naissent.

Chantal Guy : Tu réponds donc à l’horreur par la libido ?

Anne Archet : Par l’érotisation des peurs. Les hommes amateurs de cuckold – de cocufiage. Ceux qui fantasment de voir un autre homme s’amuser avec leur légitime. C’est de l’érotisation de leurs terreurs. Une façon qu’a notre psyché de mettre du miel sur les pilules les plus amères.

Chantal Guy : Il y a dans ton livre pas mal de femmes infidèles…

Anne Archet : Ouais. Pas tant que ça, en fait. Si on exclut les relations hors du couple déclarées et consenties. Je ne suis pas une fan exubérante du couple, disons. Je trouve que c’est une utopie malsaine.

Chantal Guy : Une utopie à laquelle énormément de gens aspirent, pourtant. Pourquoi ça séduit encore, le couple ?

Anne Archet : Parce que c’est ce qu’on nous vend depuis qu’on est au berceau.

Chantal Guy : Qui nous vend ça ? C’est un complot ? ? ? ;)

Anne Archet : Ben non. Ça se fait au grand jour. La famille patriarcale, c’est encore et toujours l’idéal à atteindre. Nos parents nous l’enseignent. L’école le renforce. La publicité nous rebat les oreilles avec le couple constamment. Les prescriptions sexuelles n’ont pas évolué beaucoup en Occident, malgré la révolution sexuelle, le féminisme et le mouvement LGBT. Tout le monde veut se « pairer », vivre heureux et avoir plein d’enfants.

Chantal Guy : On entend beaucoup que la sexualité est partout, que c’est trop, qu’on exagère. Pourtant, d’après ce que tu viens d’écrire, on n’est pas forcément encore dans un monde très libertin. Ça existe, des vrais libertins, en 2014 ? À part toi, j’veux dire ?

Anne Archet : Lol. Je n’ai jamais revendiqué cette étiquette. Elle est beaucoup trop datée historiquement – ou récupérée par nos belles élites quand l’envie de trousser la bonne les pogne.

Chantal Guy : Je me demande, tu préfères corrompre la jeunesse par le sexe ou par l’intellect, au bout du compte ?

Anne Archet : La jeunesse est déjà assez corrompue, merci. J’ai entendu dire qu’il y en a des tas qui votent et qui vont travailler. Incroyable, non ?

Chantal Guy : Un vrai fléau, d’après ce que j’entends…

Anne Archet : OK. Je plaide coupable, passez-moi la ciguë. Une lectrice m’a déjà dit qu’elle lisait mon blogue en 2003 quand elle avait 12 ans. Ça m’a tellement sciée que j’ai eu le syndrome de la page blanche pour la première fois de ma vie pendant un bon mois. On dira ensuite que les jeunes n’ont pas le goût de la lecture. L’anarchie choque beaucoup plus que le sexe, en tout cas. Et m’attire beaucoup plus de commentaires désobligeants.

Chantal Guy : Ça fait plus de 10 ans que les spéculations vont bon train concernant l’identité d’Anne Archet. Tout le monde a été soupçonné d’être Anne Archet. Qu’est-ce que ça t’apporte, l’anonymat ?

Anne Archet : L’anonymat, c’est une tradition du style littéraire que je pratique, pour commencer. Ce n’est que depuis les années 60 (et encore) que les gens signent les romans érotiques avec leur propre nom. C’est aussi une pratique d’internet qui permet de libérer la parole. Je sais que ce n’est pas à la mode de le dire et que tout le monde est en colère contre les trolls, mais sans anonymat, on ne serait confrontés qu’à de la pensée molle, raisonnable et consensuelle.

L’anonymat et le pseudonyme sont aussi une tradition chez les anarchistes individualistes, un courant auquel je m’associe assez volontiers.

Enfin, je suis agoraphobe et anxieuse. Juste de donner mon adresse à mes éditrices, j’ai fait de l’insomnie. Je ne suis pas faite pour ce monde à la con.

Tiens, révélation-choc : JE SUIS NORMAND BAILLARGEON.

Chantal Guy : J’y ai pensé que tu pouvais être Normand Baillargeon ! Mais QUI EST DONC ANNE ARCHET ?

Anne Archet : L’équipe masculine nationale de water-polo du Ghana.

Je suis Denise Bombardier.

Je suis un des Denis Drolet, en alternance.

En tout cas.

Chantal Guy : Il paraît que tu as toute une bibliothèque de livres érotiques de toutes les époques. Ce qui me frappe, c’est la qualité de ta langue (ha ! ha !) alors que la mode est plutôt à une sorte de joual « cool ». Il y a une influence du XVIIIe siècle, non ?

Anne Archet : Oh oui. Je voudrais bien pratiquer le joual cool, mais j’en serais incapable, puisque je suis Denise Bombardier. J’ai fait mon éducation littéraire dans des livres érotiques des XVIIe et XVIIIsiècles. Forcément, ça finit par déteindre. Sur l’enfant impressionnable que j’étais (et que je suis toujours, en fin de compte). On ne lit plus vraiment ces vieilleries, de nos jours, mais c’est très instructif. On se rend compte que les pratiques sexuelles et les façons de les nommer n’ont pas changé depuis des siècles.

Ça relativise tous les discours sur les jeunes-d’aujourd’hui-amoraux-hypersexuels-mais-où-s’en-va-le- monde-c’est-donc-ben-effrayant-ma-chère-et-en-plus-y-a-plus-de-saisons. (Et je suis Pierre Karl Péladeau).

Chantal Guy : Qu’est-ce que le XVIIIsiècle offre de mieux ? Son érotisme ou sa littérature ?

Anne Archet : Sa littérature érotique, peut-être. Je ne sais pas. Les relations homme-femme qui y sont décrites sont celles de l’époque. Disons que ça fait souvent grincer des dents. Mais quelle majesté dans la description des relations sexuelles – même dans les œuvres très mineures. Quand on lit les nouvelles érotiques qu’on publie de nos jours, sur le mode « Je te touche, tu me prends », le contraste est frappant et douloureux.

Chantal Guy : Est-ce qu’écrire est une perversion ? Qu’est-ce qui t’excite le plus, entre les lectures interdites et écrire ?

Anne Archet : Si une perversion est une conduite déviante par rapport aux règles et croyances morales, écrire n’en est pas une. Écrire, ce n’est pas une source d’excitation sexuelle. C’est comme se regarder dans le miroir pour se faire mouiller. Ce n’est pas très efficace. En tout cas, pas pour moi.

L’écriture, c’est beaucoup plus de l’ordre de la compulsion. Comme souffrir du syndrome de La Tourette. Il faut que j’énonce des obscénités, c’est plus fort que moi.

Je le fais quotidiennement depuis si longtemps, c’est sûrement un désordre mental de quelque sorte.

Pénis. Noune.

(Désolée.)

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