Les silences d’Éric Duhaime

Ils s’accumulaient en interview éditoriale avec Éric Duhaime, les silences malaisants. Sur une multitude de sujets, sa réponse s’arrêtait avant d’avoir vraiment commencé.

Pour critiquer ses adversaires, le chef du Parti conservateur est verbomoteur. Mais il devient soudainement moins loquace quand vient le temps d’approfondir ses idées.

M. Duhaime se doute qu’il ne sera pas premier ministre le 3 octobre. Mais on pourrait dire la même chose de Paul St-Pierre Plamondon. Le chef péquiste a malgré tout présenté un programme complet de gouvernement. Il ne fait pas que défendre des valeurs. Il cherche des propositions concrètes et réalistes pour les mettre en application.

M. Duhaime ne s’est pas donné cette peine. Il préfère jouer le rôle de contestataire. Il veut moins d’État et plus de compétition dans les services publics et dans l’économie, notamment en réduisant l’aide aux entreprises.

Il a raison, ces valeurs sont orphelines depuis la dissolution de l’Action démocratique du Québec (ADQ) dans la Coalition avenir Québec. Avec le temps, François Legault s’est rapproché du centre.

Les conservateurs pourraient ainsi combler un vide à l’Assemblée nationale. Reste à voir comment.

Si M. Duhaime devenait député, il devrait étudier les projets de loi, proposer des amendements et déposer ses propres réformes. Pour l’instant, il semble surtout vouloir faire de la politique comme il faisait de la radio : avec des coups de gueule.

En environnement, M. Duhaime abolirait la taxe carbone du fédéral. Or, Ottawa refuse et la Cour suprême lui a donné raison. Comment ferait-il ? Silence radio.

Il veut développer le pétrole et le gaz québécois pour payer la transition énergétique, comme la Norvège. Or, son cadre financier prévoit récolter à peine 400 millions en quatre ans avec les redevances. Des miettes comparativement aux besoins. Et bien sûr, c’est si le privé réussit à financer entièrement ces projets, ce qui n’a jamais été fait.

M. Duhaime changerait la façon de calculer les GES avant de se donner des cibles. Ce calcul se fait actuellement en respectant des normes internationales. Le Québec ferait cavalier seul en s’inventant sa propre norme. Laquelle, d’ailleurs ? Il ne le sait pas.

Le chef conservateur remet en question la pénurie de places et d’éducatrices en garderie. Selon lui, le réseau privé non subventionné pourrait les combler. Il est vrai que des établissements, surtout à Montréal et à Laval, ont des places vacantes. Mais c’est parce que les libéraux avaient délivré des permis sans lien avec les besoins sur le terrain. Si des parents n’utilisent pas ces places, c’est parce qu’elles sont situées loin d’eux et coûtent cher. Et même s’ils cognaient à la porte, le problème demeurerait entier : il faudrait encore trouver des éducatrices.

M. Duhaime offrirait un bon de garde de 200 $ imposable par semaine pour chaque enfant. Ce chèque ne payerait même pas la moitié des frais de garderie. Que feraient les mères moins riches ? Rester à la maison ? Ça n’aiderait pas la pénurie de main-d’œuvre.

Pour le primaire et le secondaire, son parti créerait un système de bons pour que les parents financent eux-mêmes les écoles privées et publiques. Mais il manque d’écoles et de profs. Comment instaurer une saine concurrence quand la demande excède l’offre ? Ce n’est pas comme si on pouvait bâtir une école en six mois…

Le chef conservateur réduirait le nombre de fonctionnaires de 5000 par attrition. François Legault l’avait promis avant de reculer – c’était plus facile à dire qu’à faire. Où les prendrait-il ? Mystère.

M. Duhaime veut que la charte des droits et libertés soit modifiée pour avoir préséance sur la Loi sur la santé publique. Or, c’est déjà le cas ! Pourquoi le promettre, à part pour inventer un problème et prétendre ensuite être le seul à vouloir le régler ?

Il soutient qu’il aurait rendu les mesures sanitaires optionnelles tout en « protégeant mieux les personnes vulnérables ». Mais comment aurait-il amélioré la protection des gens immunosupprimés ? Il n’a pas donné un seul exemple.

À ses débuts, l’ADQ séduisait les électeurs en misant sur un nombre restreint de priorités. Cela a mené à une crise de croissance. En 2007, en tant qu’opposition officielle, elle devait réagir sur tous les sujets et les failles sont apparues. Mais, au moins, elle essayait.

M. Duhaime, lui, semble moins intéressé. Il surfe sur un petit nombre de sujets émotifs. Pour l’instant, ça lui sourit. Mais à moins de les approfondir, il atteindra lui aussi ses limites. Car plus on lui tend le micro, plus ses silences deviennent gênants.

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