Peut-on espérer la fin des paradis de charité en 2023 ?

Comme toutes les deux ou trois semaines depuis quelque temps, le mégadon d’une personne richissime à une fondation de charité fait encore les manchettes.

Le problème, c’est que la plupart de ces fondations ne sont une bonne affaire ni pour les finances publiques ni pour les causes qu’elles soutiennent. C’est mathématique : elles ne donnent pas suffisamment pour compenser, dans un délai raisonnable, les cadeaux fiscaux offerts aux donateurs (réduction égale à environ 50 % du don) et aux fondations (congé d’impôt à perpétuité).

Prenons le cas fictif d’un Canadien qui, en janvier 2023, donne 10 millions de dollars à sa fondation vouée à la lutte contre le réchauffement climatique. D’ici 2030, cela aura permis de consacrer 3 millions de dollars à la cause environnementale, alors que les cadeaux fiscaux, pour lui-même et sa fondation, en auront totalisé 6 millions. D’ici 2050, la contribution charitable aura été de 6,5 millions avec 7,5 millions de dollars en cadeaux fiscaux.

Sous le régime fiscal canadien, la philanthropie environnementale n’est donc pas même souhaitable parce qu’elle finit par détourner de l’argent de la cause, au lieu de lui apporter les ressources supplémentaires dont elle a besoin pour respecter les échéances importantes de 2030 et 2050.

Mais pourquoi les fondations ne veulent-elles pas débourser davantage ? C’est simple, pour la perpétuité : elles refusent de gruger leur capital afin de pouvoir le conserver pour toujours. Elles soutiennent donc une cause, mais limitent le montant des dons au rendement réalisé sur le capital.

Au Canada et aux États-Unis, les sommes ainsi conservées à perpétuité dans les fondations de charité en 2022, publiques et privées, totalisent une somme estimée à près de 2000 milliards de dollars. Pour donner une idée de grandeur, les sommes accumulées dans tous les paradis fiscaux de la planète seraient de 5000 à 10 000 milliards de dollars.

Cadeaux fiscaux

Les paradis fiscaux existent depuis plus de 100 ans. Les fondations de charité également. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, aucune fondation majeure n’avait été créée au Canada et ce n’est qu’en 1918 que la Fondation Massey vit le jour. Les paradis fiscaux et leurs utilisateurs attirent nos critiques, alors que les fondations et leurs fondateurs jouissent de notre admiration. Pourtant, considérant toute cette fortune accumulée à l’abri de l’impôt par les fondations et les généreux cadeaux fiscaux qu’elles procurent à leurs donateurs, plusieurs de ces organisations s’apparentent beaucoup plus à ce qu’on pourrait appeler des paradis fiscaux nationaux qu’à des organismes de bienfaisance.

Au Québec, c’est pire qu'ailleurs. Contrairement au fédéral qui limite la déduction pour don à 75 % des revenus du donateur, on n’impose aucune limite.

Ici, une personne richissime peut donc décider de tourner le dos à l’impôt québécois en décidant de mettre en place un tel paradis de charité. Le régime des fondations de charité entre ainsi directement en concurrence avec le financement de l’État. Rien de moins.

L’année 2023 ne marquera pas la fin de ces sortes de paradis de charité. Au contraire, ils ne cessent d’augmenter en popularité et en richesse. Durant les 100 dernières années, il y a eu très peu d’interventions majeures au sein de la fiscalité de ces organisations. En 1976, dans le cadre d’une réforme fiscale plus vaste découlant de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (commission Carter), l’obligation pour la fondation d’allouer annuellement au moins 5 % de ses actifs à des organismes et activités de bienfaisance a été introduite dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette obligation charitable a ensuite été réduite à 4,5 %, puis à 3,5 %, et voilà qu’elle vient d’être augmentée à nouveau à 5 % dans le dernier budget fédéral.

Mais 5 %, ce n’est pas encore suffisant. Ce chiffre provient d’études réalisées en 2020 et 2021 alors que les taux d’intérêt étaient beaucoup moins élevés et que les gens ne suffoquaient pas sous l’inflation et les menaces d’une récession. Ce taux doit évidemment être révisé à nouveau à la hausse, mais très peu de Canadiens en font la demande. Ça viendra.

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