Santé mentale et communautés

Comment briser le tabou ?

Kharoll-Ann Souffrant a été agressée sexuellement par un adulte alors qu’elle était mineure. Cet homme, blanc, l’intimidait et la dévalorisait en raison de sa couleur de peau. Il lui a fallu 10 ans pour dénoncer ces actes et comprendre leurs effets sur sa santé mentale. Cette agression n’est qu’une parmi toutes celles qu’elle dit avoir subies en tant que femme noire vivant dans un quartier défavorisé.

Quelques années après cette agression sexuelle, Kharoll-Ann Souffrant a été diagnostiquée avec un trouble de bipolarité. Elle a cherché par elle-même le moyen de se rétablir, bien qu’elle sentait à l’intérieur d’elle que son diagnostic avait été fait à la va-vite par « une professionnelle qui ne s’est pas questionnée sur la possibilité de violences subies et qui ne connaissait pas les enjeux liés au racisme », estime-t-elle.

Kharoll-Ann s’est sentie larguée par le système de santé. « En tant que personne noire, la possibilité de souffrir du racisme aurait dû faire partie de l’équation. Je m’en suis sortie grâce à ma capacité de parler, mais qu’est-ce que cela implique pour les jeunes qui n’ont pas cette résilience ? »

Comme elle, plusieurs personnes issues des communautés ethnoculturelles prennent du temps à parler de leur détresse. Et souvent, elles ne se sentent pas comprises.

La science admet qu’il existe des disparités raciales et ethniques dans l’évaluation et le traitement au moment du premier diagnostic de psychose. Pour le Dr Prévost Jantchou, épidémiologiste et enseignant à l’Université de Montréal, les morts de George Floyd à Minneapolis ou de Fredy Villanueva à Montréal peuvent être des déclencheurs majeurs de détresse psychologique. De fait, on ne dispose pas tous des mêmes capacités de résilience. L’Holocauste, les pensionnats autochtones, les traites des Noirs ou les violences policières laissent des traumatismes.

« On ne peut pas mettre cela de côté. L’histoire familiale ou communautaire laisse des séquelles. Le respect des souffrances des communautés est important pour avancer ensemble. »

— Le Dr Prévost Jantchou, épidémiologiste et enseignant à l’Université de Montréal

Traumas, croyances et méfiance

Régine Tardieu-Bertheau, psychologue clinicienne au privé, signale que la honte associée à la maladie mentale est pesante, « comme s’il s’agissait de la mauvaise foi de l’individu ».

Che Cherrilyn Birchwood, doctorant.e en psychologie, est beaucoup intervenu.e sur le terrain auprès de personnes noires ou LGBTQ+. « Il y a une méfiance relative à l’intervention médicale. Elle est due aux expérimentations réalisées sans le consentement des sujets à travers l’histoire. Ça s’ajoute au fait que l’on nous pense comme un groupe homogène avec des émotions souvent négatives, liées à la colère ou à la tristesse. »

Identifier le problème

Les personnes issues des minorités ethnoculturelles sont plus à risque de contracter la COVID-19, notamment en raison de leur forte représentation dans les professions de la santé. Le Québec manque pourtant de données à ce sujet, contrairement à d’autres pays.

Les communautés se sont donc organisées d’elles-mêmes. Thierry Lindor, entrepreneur et délégué au G20 et aux Nations Unies, a lancé The Colors of COVID. Cette plateforme rassemble des données sur l’ethnie, la couleur de la peau, le genre ou l’orientation sexuelle des personnes testées positives à la COVID-19. Selon leurs résultats, plus de 56 % des répondants ont vu leur santé mentale affectée par la pandémie. « Les couleurs de la COVID nous forcent à nous regarder dans le miroir, à parler des invisibles, à leur donner une voix. La COVID ne voit pas mon accent, ma couleur de peau ou ma religion, mais elle voit la pauvreté. Et la pauvreté, en Amérique du Nord, est souvent brune, avec un accent et une religion différente », estime M. Lindor.

Trouver des ressources

En 2018, Fama Tounkara et Ernithe Edmond ont créé My Mental Health Matters, une plateforme web visant à déstigmatiser les problèmes de santé mentale.

Ces deux amies du secondaire souhaitaient donner plus d’outils aux personnes issues des communautés culturelles. À travers leur plateforme, les deux amies vulgarisent, expliquent et proposent des solutions en donnant des outils et une liste de ressources.

Rose-Anne St-Paul, coordonnatrice de projet dans le milieu communautaire, est de celles qui proposent des solutions avec le lancement d’Allô Vicky, une ligne d’écoute dédiée aux personnes noires, autochtones et à toutes celles qui ont un accès limité aux services en santé mentale à Montréal. Si le concept n’est pas nouveau, il répond à des besoins certains, encore plus en cette période de pandémie où plusieurs personnes se sentent isolées.

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