Démission de Sophie Brochu

Un sentiment d’inachevé

Sophie Brochu a été nommée par le gouvernement du Québec le 1er avril 2020 pour un mandat de cinq ans, passant ainsi à l’histoire en tant que première femme présidente-directrice générale de la société d’État (exception faite du passage intérimaire de Lise Croteau en 2015).

Sa démission, qui prendra effet en avril, surprend. Elle n’aura été à son poste que pour une période de trois ans. C’est un passage de courte durée à la tête de la plus importante société d’État du Québec si on le compare à celui de ses prédécesseurs tels Guy Coulombe (six ans), André Caillé (neuf ans) et Thierry Vandal (dix ans).

Il s’agit d’un poste prestigieux, à grande visibilité, qui place le ou la titulaire de cette redoutable fonction au cœur de multiples enjeux d’envergure, à la fois économiques, environnementaux et sociaux, et ce, sur tout le territoire de la province.

Sous le signe de la rupture

Dans sa communication aux employés à la suite de cette annonce, la PDG s’est décrite comme une « architecte », celle qui définit les contours du chantier que d’autres mettront en œuvre. Sophie Brochu aura en effet inscrit le parcours d’Hydro-Québec non pas dans la continuité, mais dans la rupture, forcée par l’obligation de la transition énergétique, l’un des plus grands défis de notre époque.

Le plan stratégique 2022-2026, adopté sous sa gouverne, parie sur une augmentation de 50 % de la production d’énergie au cours des 30 prochaines années afin de permettre au Québec de décarboner son économie.

L’électricité que nous consommerons sera plus chère. Elle devra donc être utilisée de manière plus parcimonieuse, surtout si l’on considère l’intérêt que suscite notre énergie propre auprès de plusieurs investisseurs partout dans le monde.

Outre ce plan stratégique, la PDG sortante a quelques bons coups à son actif, dont la gestion d’une grosse firme en pleine pandémie et une approche plus ouverte avec les communautés autochtones.

Pour les marchés hors Québec, deux succès de grande ampleur : le contrat d’exportation vers l’État de New York, le plus important de l’histoire d’Hydro-Québec, et l’acquisition de 13 centrales hydroélectriques en Nouvelle-Angleterre, un investissement qui positionne avantageusement l’entreprise en tant qu’acteur local d’importance dans les efforts de décarbonation de cette région des États-Unis. Sophie Brochu jouissait également d’une grande crédibilité auprès de ses employés, dont les plus jeunes, qui appréciaient son approche directe : à l’interne, le vouvoiement d’usage envers la personne dirigeante avait disparu ; tous l’interpellaient par son prénom.

Elle a aussi procédé à une vaste réorganisation, mettant un terme au règne des divisions (production, transport, distribution) en place depuis une longue période. Une nouvelle structure, très différente de celles du passé, vient tout juste d’être mise en place.

L’annonce de sa démission jette assurément une certaine consternation chez les employés. Les désaccords publics qu’elle a eus l’automne dernier avec le nouveau ministre responsable de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, au sujet de l’usage de notre électricité, leur avaient fait craindre une démission subite. Mais ces frictions semblaient choses du passé, à la faveur de la mise en place d’un comité sur l’économie et la transition énergétique présidé par le premier ministre et dans lequel la PDG avait sa place.

Le départ de Sophie Brochu marquera-t-il un changement de cap pour la société d’État ? La principale intéressée a signifié aux employés que ce ne sera guère le cas. Son plan stratégique serait « l’étoile du Nord » que son successeur et les employés doivent dorénavant réaliser. Or, on le sait, le véritable défi d’un plan aussi ambitieux réside dans son exécution, avec toutes les complexités que cela comporte.

Le passage de Sophie Brochu à la tête d’Hydro aura été marquant. Nul doute. Mais, il faut le dire, sa démission inattendue laisse l’impression d’une œuvre inachevée. Peut-être que le temps permettra de jeter un regard différent sur l’héritage de la première femme à avoir dirigé ce fleuron québécois.

* Ex-employé d’Hydro-Québec, de 1988 à 2018

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