Opinion

N’oublions pas notre sourire

Vous vous souvenez d’une fillette de 6 ans avec un grand sourire, celle qui disait à tout le monde qu’elle deviendrait dentiste ? Que ça sent bon chez le dentiste ! Comme c’est agréable de ressortir de là avec les dents douces et brillantes ! Cette petite fille, c’est moi ! Comme des milliers de gens de ma génération et bien d’autres, j’ai réalisé un rêve de jeunesse en devenant dentiste, depuis 13 ans déjà !

Devenir un médecin de la bouche n’est pas une mince affaire. « Il faut de bonnes notes pour devenir dentiste », me disaient mes parents. « C’est contingenté la médecine dentaire et c’est de longues et difficiles études ! » Qu’à cela ne tienne, j’ai travaillé fort, gardé le cap et j’y suis parvenue. Comme bien d’autres passionnés, je suis aujourd’hui dentiste-propriétaire.

Depuis 10 ans, avec mes associées, nous dirigeons une merveilleuse équipe de 25 femmes dévouées, professionnelles et entrepreneures. Malgré tout ce bonheur dont j’ai le privilège, je ne vous cache pas que les trois derniers mois ont été les plus stressants et anxiogènes de ma vie. Les dentistes sont actuellement aux prises avec la tempête parfaite de la COVID-19.

À une semaine de notre réouverture, les dentistes sont visés par de nouveaux protocoles du ministère de la Santé. Nous devons repenser nos espaces, changer nos systèmes de ventilation, nous armer d’équipements de protection individuels (EPI), et ce, sans aucun soutien du gouvernement.

Mais, les dentistes québécois sont résilients. Ils sont capables de se revirer sur un 10 cennes. Toutefois, sans l’appui du gouvernement, nos options sont limitées. Nous devrons nous résoudre sans enthousiasme à refiler la facture à nos patients. Vous avez bien compris, ce même patient qui a peut-être perdu son emploi en raison de la COVID-19. Cela m’apparaît carrément déplorable. Voire, injuste.

Faut-il le rappeler, les soins dentaires ne sont pas un luxe. Les dentistes traitent la santé de la bouche des Québécois (les 200 maladies, vous vous souvenez ?). Avec la réouverture, plusieurs traitements ne pourront être repoussés davantage. Les cliniques dentaires ont été pratiquement fermées pendant 10 longues semaines. Assurément, le temps aura fait ses ravages. Le défi s’annonce colossal.

Nous sommes lucides, les dentistes ont rarement la sympathie du public. Pourtant, beaucoup d’entre nous sont des entrepreneurs qui sont fiers de contribuer à l’économie du Québec. Dans toutes les régions, nos employés sont bien rémunérés et dépendent de nos entreprises. Nous gérons des mini-hôpitaux depuis des décennies avec une efficacité irréprochable. Plus important encore, tous les dentistes du Québec demeurent des passionnés qui ont à cœur la santé de leurs patients.

Malheureusement, la réalité qui nous attend avec la réouverture est que les exigences gouvernementales rendront les cliniques dentaires de la province moins productives. Leurs frais d’exploitation augmenteront significativement et de nombreux écueils seront au rendez-vous.

Par exemple, plusieurs commandes d’EPI que les dentistes ont passées en avril et en mai ont été carrément réquisitionnées par le système de santé public. Nous attendons toujours l’arrivée de cette marchandise critique. Et ce n’est là que la pointe de l’iceberg.

Force est de constater que les dentistes sont les oubliés du système de santé actuellement. Bien souvent, nous devons payer le double, voire le triple du prix pour les blouses, les masques ou les visières dont nous avons besoin. Qui plus est, avant la pandémie, les coûts de certains traitements, comme les soins dentaires de base aux personnes bénéficiaires de l’aide sociale ou les examens et traitements chez les enfants de 9 ans et moins, étaient soit couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), mais les remboursements suffisaient à peine à compenser les frais fixes associés aux traitements. Pendant cette pandémie, il est donc clair que les dentistes devront piger dans leurs propres poches pour financer ce type de traitements. Est-ce là le rôle des dentistes ? Je ne crois pas.

Si la santé des Québécois passe par leur santé dentaire, la santé financière des patients doit également faire partie de l’équation. Cela veut dire que les frais d’asepsie supplémentaire devraient être pris en charge par la RAMQ et que les tarifications devraient être révisées afin de tenir compte des impacts de la crise. Il s’agit d’un calcul que nos gouvernants appliquent à d’autres secteurs ; la santé dentaire devrait aussi être en haut de la liste.

Rassurez-vous, la petite fille en moi est toujours passionnée par votre sourire, COVID-19 ou pas. Il est d’autant plus précieux en ces temps sombres que nous vivons. Cependant, cette fillette n’y arrive plus seule, c’est le moment pour notre gouvernement de réinvestir dans le sourire des Québécois.

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