opinions Controverse du défilé de la Saint-Jean

Voici trois textes en réaction à la controverse du défilé de la fête nationale, samedi dernier à Montréal.

Opinion

Aux Patriotes de Louis-Jo

Chers bénévoles, chers compatriotes, chers élèves de l’équipe de football les Patriotes de l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau…

Je ne sais pas trop comment vous appeler, mais je refuse « jeunes Noirs », tel qu’on se réfère à vous depuis votre participation au défilé de la fête nationale. En acceptant d’y être bénévoles, vous ne pensiez certainement pas qu’on parlerait ensuite tant de la couleur de votre peau au nom du combat contre le racisme et les préjugés. Ça me désole pour vous personnellement et pour nous collectivement.

S’il est vrai qu’être un immigrant ou un Noir au Québec n’est pas toujours facile, ce n’est pas une vidéo de quelques secondes sur YouTube qui en fera la démonstration. En tout cas, si vous vivez des difficultés, je voudrais l’entendre de votre bouche.

Par expérience, vous savez sûrement que sauter trop vite aux conclusions, prêter mauvaise foi, généraliser, en rajouter… ne sont pas les ingrédients gagnants du vivre-ensemble.

Les malentendus et les maladresses ont intérêt à être désamorcés plutôt que gonflés, à moins de vouloir finir ça aux poings dans la cour d’école.

Règle de base : il faut savoir s’excuser pour être pardonné et il faut être prêt à pardonner pour voir l’autre s’excuser. C’est facile à dire, c’est vrai, je ne prêche pas non plus toujours par l’exemple.

Je peux très bien m’imaginer comment ça s’est passé. J’étais commissaire scolaire à la CSDM il y a quelques années quand on a travaillé avec les organisateurs du défilé pour permettre à de jeunes finissants de nos écoles de contribuer aux festivités de la Saint-Jean. On voulait en faire une sorte de symbole de leur réussite éducative et de leur intégration à la société québécoise. On voulait aussi participer au « rajeunissement » de cette tradition qui a quand même bien changé depuis 183 ans, depuis que la Saint-Jean s’est muée de fête religieuse des Canadiens français en fête nationale de tous les Québécois. Chose qu’on ne cesse d’y souligner année après année, soit dit en passant.

La première année de cette collaboration, quelques douzaines d’élèves tenaient une marionnette géante, celle de Laure Gaudreault, cette enseignante qui au siècle dernier s’est dévouée pour la qualité de l’école publique et l’égalité des chances. J’étais content de voir défiler avec le sourire ces jeunes qui, comme vous et moi, sont un peu ses élèves.

« Faites-le pour l'équipe »

Maintenant que les chars ne sont plus motorisés, votre rôle demande plus de jus de bras, si j’ai bien compris. Un défi qui, je suppose, vous tentait davantage que de valser avec des tissus de soie bleu et blanc rue Sainte-Catherine. J’imagine aussi comment ça s’est passé. Votre entraîneur dit que vous n’avez pas trop le choix, car les organisateurs donnent des bourses, mais que ça va être cool. « Faites-le pour l’équipe, les gars ! » Quelques moues, quelques blagues, quelques répétitions et vous voilà l’épaule à la roue, sous des applaudissements, dans les rues de Montréal à écouter Annie Villeneuve chanter en boucle Gens du pays. Vous avez clairement mérité les boissons gazeuses et les sandwiches à la fin du parcours.

Le Québec accueille grosso modo 1000 nouveaux arrivants par semaine, la très grande majorité dans la métropole. Il est surprenant que les uns comme les autres s’étonnent qu’en faisant appel à des jeunes des écoles montréalaises, ces derniers ne ressemblent pas à la classe d’Émilie Bordeleau.

Par contre, qu’on souligne la couleur de votre peau n’est pas très étonnant.

De nos jours, qu’on fasse un bon ou un mauvais coup, on finira par parler de nos origines. Certains le réclament, d’autres le subissent.

Mais là, hélas, on ne vous a pas demandé votre avis.

Surtout que cette fois-ci, vous n’avez fait ni bon ni mauvais coup. Vous avez participé à un défilé et pas n’importe lequel. Celui de la fête nationale où personne ne vous a dit que vous n’aviez pas rapport. Au contraire. À 30 degrés sous le soleil, vous avez poussé un char allégorique. Et pas n’importe lequel non plus. Celui où l’on chantait que le temps qu’on a pris pour dire je t’aime, c’est le seul qui reste au bout de nos jours.

Ici, Gilles Vigneault ne parle pas du nombre de likes qu’on a amassés à coups d’indignation et de bons sentiments au cours de sa vie. Non. Il parle du temps que l’on a pris pour aider, soutenir, écouter un ami, un enfant, un frère, une sœur, un chum, une amoureuse, un parent. Le temps que l’on a pris pour se rappeler qu’évolue ici un peuple depuis des siècles avec une langue, une histoire et une culture. Mais aussi, le temps qu’on a pris pour dire à l’Autre qu’il fait partie de Nous.

C’est pas si quétaine que ça, je trouve. Quand j’entends aujourd’hui, 30 ans après mon arrivée au Québec, que c’est à mon tour de me laisser parler d’amour, je me sens ici chez moi. J’espère que durant ce parcours vous aviez ce même sentiment. Et j’espère qu’après que toute cette poussière soulevée bien malgré vous retombera, ce sera encore le cas.

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