Patrick Poivre d’Arvor

Un paria si tranquille

Accusé de harcèlement sexuel et de viol, l’ancien présentateur-vedette du 20 heures n’a jamais voulu se cacher.

En cette fraîche matinée de mars, une partie du Paf est entassée dans la basilique Sainte-Clotilde à Paris. Parmi les places assises réservées, au milieu des noms des journalistes de la Une, celui de Patrick Poivre d’Arvor (PPDA). « Chez TF1, tensions ou pas, il était évident que lui et Claire Chazal seraient présents », confie un collaborateur du groupe audiovisuel.

Il était impensable pour PPDA de ne pas rendre un ultime hommage à Jean-Pierre Pernaut. Son camarade d’antenne était son dernier soutien à TF1, celui qui avait répondu à ses victimes supposées : « Ces témoignages sont mensongers. » Arrivé seul avant le début de la cérémonie, PPDA ne s’est pas joint à ses anciens collègues. Il a préféré s’asseoir... parmi des Miss France, avant de repartir sans adresser un mot à qui que ce soit.

La brutale réalité

Depuis quelques mois, son quotidien n’a plus le glamour d’antan. Les déjeuners en ville ont repris timidement mais, à l’exception de son jogging quotidien autour de son domicile, l’ex-star du petit écran semble vivre un long confinement médiatique.

Olivier, son frère, et Arnaud, son premier fils, sont de ses rares visiteurs. Celui à qui l’on déroulait le tapis rouge est désormais persona non grata.

Après la première plainte pour viol de Florence Porcel, classée sans suite par le parquet pour insuffisance de preuves en février 2021 avant d’être suivie d’une nouvelle plainte à l’automne, il avait continué à « cancaner », à en croire les personnes qui le croisaient alors, persuadé que l’affaire serait vite expédiée.

En novembre, le retour à la réalité fut brutal. À la une de Libération s’affichaient les visages de huit des vingt-sept femmes qui l’accusent de viol, de harcèlement ou d’agression sexuelle. Faits qu’il conteste.

Quelques jours plus tard, son téléphone sonne. Au bout du fil, Emmanuel Chain. Le producteur informe l’homme auquel, selon ses collègues, « il s’identifie depuis des années » que Sept à huit prépare un numéro sur lui, nouveaux témoignages à la clé. Poivre, furibond, tente par tous les moyens d’en empêcher la diffusion. « Si tu veux t’exprimer, prends la parole devant la caméra. Mais on ne censurera pas le reportage », tranche Thierry Thuillier, le patron de l’info de TF1. L’accusé refuse d’obtempérer. Bafoué par son ancienne maison, il se sent trahi par Harry Roselmack, qu’il décrivait jusqu’alors, ironie du sort, « d’une fidélité formidable à [son] égard ». Pire, Gilles Bouleau, assis sur le même siège que lui, a consacré un sujet à l’affaire dans « son » 20 heures.

Le roi déchu

Dans les années 1990, qui aurait pu imaginer pareil désaveu ? À l’époque, Patrick Poivre d’Arvor est le roi de la chaîne, celui qui interviewe les présidents comme les célébrités, visage rassurant qui informe 10 millions de fidèles chaque soir. Sa parole est d’évangile ; la confiance en lui, aveugle. À tel point que le public pardonne tout, aussi bien l’enfant ramené d’Irak dans un sac de voyage que la conférence de presse de Fidel Castro transformée en fausse interview exclusive. TF1 l’a protégé pour un temps, jusqu’à ce que la coupe soit pleine... et que les audiences prennent l’eau. Furieux, PPDA se répand dans un livre, À demain ! En chemin vers ma liberté, et est condamné à verser 400 000 euros à son ancien employeur pour non-respect de sa clause de confidentialité. Entre la Une et sa star, la messe est dite.

Une décennie plus tard, la chaîne fait mine de traiter la situation avec la plus grande neutralité. Comme si PPDA n’avait jamais hanté ses couloirs, comme si les récits glaçants des femmes qui le dénoncent n’avaient pas pris place au deuxième étage de la tour de Boulogne-Billancourt, dans le bureau au fond du couloir. « La direction a changé, il est parti depuis plus de 10 ans », répètent inlassablement les représentants de la chaîne. TF1 a mis en place des cellules d’écoute pour les potentielles victimes d’agression, « en particulier chez LCI », précise-t-on. Là où Darius Rochebin, soupçonné de harcèlement sexuel en Suisse, travaille actuellement...

À Canal+, le tapage a été évité de justesse. Début 2021, la presse rapporte l’arrêt soudain et inexpliqué de l’émission Vive les livres, sur CNews. Les journalistes de la rédaction, qui avaient très peu croisé PPDA, s’étonnent de ce départ brutal. « Il n’y a pas eu de bruits de couloirs. Quand c’est aussi sensible, peu de gens sont au courant », précise un représentant syndical. Selon nos informations, la direction, ayant eu vent des accusations qui pesaient sur PPDA, a préféré l’exfiltrer avant que n’explose le scandale. Pas mécontente de mettre fin, par la même occasion, à un contrat onéreux. Car PPDA, depuis son départ de TF1, n’est plus la valeur sûre du Paf. Lui reste seulement Une maison, un écrivain, à laquelle il prête sa voix, sur France 5. Ses programmes passent difficilement la barre d’une saison. En 2012, France 3, déçue de ne réunir qu’un million de téléspectateurs devant Place publique, en arrêtait la diffusion après seulement deux numéros.

M’as-tu-vu

Mais c’est ailleurs que la figure du petit écran gagne son pain. De cercles prestigieux comme Le Siècle (où officiait Olivier Duhamel, écarté à la suite des accusations de viol de son beau-fils) au dîner des Arméniens chez Petrossian en présence d’Anne Hidalgo, en passant par le glamour Salon des seniors nouvelle génération, aux côtés de Julien Lepers, Patrick Poivre d’Arvor joue au mondain qui, peu regardant, louerait son image au plus offrant.

Nombre de ceux qui le connaissent dépeignent un homme doté d’un « besoin viscéral d’être vu », quelqu’un qui, « au-dessus des lois », prend des libertés avec le Code de la route pour arriver plus vite à destination.

D’ailleurs, après la une de Libération, il « était fier », selon plusieurs personnes présentes, de traverser la Comédie-Française main dans la main avec sa dernière conquête. Les tourtereaux ont été vus récemment en train de s’embrasser langoureusement lors de plusieurs événements. Ces nombreuses et gracieuses manifestations lui permettent d’assouvir une certaine avidité. On se souvient de l’affaire Botton, qui l’avait fait condamner pour avoir accepté de généreuses offrandes (plus de 500 000 francs) en échange d’un coup de pouce à Michel Noir, alors député et maire de Lyon. Depuis, combien l’ont vu remplir ses poches de babioles inutiles – « Il récupère tout ce qu’il peut tant que c’est gratuit », dixit un témoin anonyme – ou ont reçu les objets promotionnels de la Une en guise de cadeaux... L’homme est capable d’un esclandre si l’on a le malheur de lui demander de mettre la main au porte-monnaie. Ses hôtes en font souvent peu de cas, heureux de recevoir celui dont l’aura n’est pas totalement entachée. Certaines manifestations exhibent encore sa photographie sur la page d’accueil de leur site internet ou sur leurs affiches promotionnelles.

Du côté des élitistes cercles littéraires où l’auteur de près de 80 ouvrages, commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres, a longtemps été choyé, la chanson n’est plus la même. Il y a quelques mois, le jury du prix Breizh croisait les doigts pour qu’il ne se montre pas. « Il est du genre à venir, même sans invitation ! » persifle une source. En 2011, après l’avoir mis en cause pour plagiat dans sa biographie d’Ernest Hemingway, accusation dont PPDA s’est défendu en chargeant son éditeur, l’organisation lui avait ôté sa couronne de président. Cette fois, elle lui a tourné le dos. « Il est devenu toxique », chuchote un membre du jury.

Il est loin le temps où Armor magazine lui décernait le titre de Breton de l’année... Autre humiliation, à Saumur. Depuis plusieurs années, les Journées nationales du livre et du vin ont lancé un prix Patrick Poivre d’Arvor, qu’il remet lui-même. Il s’est donc fendu d’une apparition et de quelques selfies, mais faisait grise mine. Son lauréat, l’écrivain et journaliste Thibault de Montaigu, s’était fait porter pâle. « Les proches de Montaigu lui ont dit que ce serait mauvais pour son image d’accepter ce prix », confie un habitué.

Quelques semaines plus tard, Jean-Paul Enthoven, David Foenkinos et Amanda Sthers démissionnaient en chœur du prix Le Temps retrouvé, afin de ne pas être associés à leur confrère. « Nous sommes des écrivains, pas des moralisateurs », commentaient les jurés restants, dont Alessandra Fra, soutien public de Poivre. Et si lui affirme avoir démissionné, on nous murmure que Didier Decoin, président des Écrivains de marine, l’a « fortement encouragé » à quitter l’association. Les plumes ont fait disparaître le nom de leur ex-vice-président de tous leurs supports, allant jusqu’à l’inscrire dans la case « disparu ». Dommage pour celui qui briguait la présidence... Enfin, l’éditeur Olivier Frébourg aurait préféré mettre un point final à leur projet de livre commun.

Les victimes attaquent

Depuis leur cellule de crise, regroupées sous le hashtag #MeTooMedias, celles qui se disent victimes de Poivre, pour des faits la plupart prescrits, se félicitent. Elles ne sont guère étrangères à certaines sorties de liste. « Fin septembre, on s’est rendu compte qu’il faisait sa vie comme si de rien n’était, commente l’une d’elles, Emmanuelle Dancourt. Beaucoup avaient vu – à tort – le classement sans suite comme un non-lieu. Nous étions sorties du bois, qu’est-ce qu’on pouvait faire de plus pour que ça s’arrête ? »

Armées de leurs téléphones, elles contactent plusieurs programmateurs afin de les encourager à renoncer à accueillir Poivre. La méthode porte ses fruits : annulation d’une « croisière sur le Rhin romantique » où il était invité d’honneur (« Il n’y a rien de romantique dans ce que nous avons vécu avec lui », précise Emmanuelle Dancourt) ; éviction du Nantes Atlantique Business Club, où il a été discrètement remplacé par Jean-Michel Aphatie. « Il était très mécontent », précisent les organisateurs. Sous contrat, l’éconduit a malgré tout touché l’intégralité de son cachet.

Mais le briscard conserve des alliés. Parmi eux, Nicolas Hulot (ils partagent la même avocate, Me Jacqueline Laffont) ou Tristan Duval, le maire de Cabourg. Ce dernier, qui clame son innocence mais a été condamné à titre non définitif pour violences conjugales, le convie à son anniversaire comme au prix littéraire de sa ville. « Il a joué le jeu lors de la dernière édition, mais tout le monde était embarrassé par sa présence », déplore un visiteur. Sans oublier Bernard Montiel, qui a déclaré le soutenir et prend de ses nouvelles régulièrement. Claire Chazal, son ex-compagne, n’a, quant à elle, pas hésité à mettre publiquement en doute les témoignages des accusatrices. « Je crois sincèrement que Claire n’était pas au courant de ce qu’il se passait », avance une proche. Un soutien à toute épreuve qui n’a pas échappé à la ville de Cassis. Cette dernière a offert aux ex-amants la programmation de son Printemps du livre. Plusieurs éditeurs – dont Jean-Claude Lattès, qui a publié l’ouvrage Pandorini, de Florence Porcel, dénonçant les agissements de PPDA – se sont dits « surpris » d’être contactés pour participer à l’événement.

Omerta

L’eau a coulé sous les ponts depuis l’heure de gloire de PPDA. Pourtant, à peine évoque-t-on son nom que les bouches se cousent ou réclament l’anonymat. « C’est clair qu’il y a une véritable omerta ! Les interrogés ne cessent de nous répéter : “C’était une autre époque”, comme si cela excusait quelque chose », commente Romain Verley, ancien de TF1. Le journaliste et réalisateur prépare un numéro de Complément d’enquête sur le sujet. « Quelque part, ajoute-t-il, il y a encore de la peur. »

Pour PPDA, l’heure semble à la contre-attaque. Sa dernière apparition officielle date de mars 2021, sur le plateau de Quotidien. Ses déclarations enflammées sur la fin de l’ère des « bisous dans le cou » avaient allumé la mèche de la colère de celles qui l’accusent.

S’il s’est effacé depuis, il n’a pu s’empêcher d’évoquer ses passions, de Jérusalem à la philosophie, lors d’interviews confidentielles. Les vidéos peinent à atteindre quelques dizaines de vues, mais les modérateurs ont censuré les commentaires.

Selon plusieurs sources, rejeté par les habituels communicants de crise, Poivre aurait – contre l’avis de son avocate – engagé un homme de l’ombre, épaulé par son frère Olivier et son fils Arnaud, pour lancer une campagne peu orthodoxe destinée à redorer son image. La petite bande se serait ainsi lancée dans un tour des éditeurs de France et de Navarre afin de narrer « sa vérité ». Grasset, l’Archipel et les Éditions du Rocher, chez qui PPDA signe habituellement, aurait préféré faire la sourde oreille. « Je les comprends. En termes d’image, c’est délicat. Et, soyons honnêtes, ses récents livres ne se sont pas bien vendus », reconnaît un éditeur. Deux mille cinq cents exemplaires pour le dernier, L’ambitieux (Grasset). Pas de quoi bousculer le top des ventes... Une modeste maison aurait engagé des discussions, espérant une publicité, douteuse, certes, mais efficace.

Seconde offensive : l’opinion publique. Plusieurs dizaines de messages ont été envoyés à des journalistes par Olivier Poivre d’Arvor pour dénoncer « une cabale ». Dans les dîners en ville, semer le discrédit est désormais systématiquement au menu. Les Poivre d’Arvor exhibent, tels des trophées, les lettres adressées par les accusatrices, dépeintes comme des « amoureuses éconduites ».

« J’ai une impatience à toujours obtenir les choses telles que je les veux », affirmait Poivre en 2002 sur le plateau de son meilleur ennemi, Thierry Ardisson. « Je suis parfois un peu soupe au lait. Je mériterais une bonne paire de baffes de temps en temps. » Qui pourrait le contredire ?

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