Nos infidélités profitent à Dollarama

Même si l’humain est une bibitte d’habitudes, quand le prix de la margarine bondit de 31 % et celui des spaghettis de 23 %, il s’adapte. Il abandonne le pilote automatique qui lui fait mettre les mêmes aliments dans son chariot chaque semaine sans réfléchir ni compter.

C’est ce qui s’est produit dans la dernière année.

Pour économiser, les Québécois ont adopté une série de nouveaux comportements. Ils ont opté pour des supermarchés à bas prix, diminué les desserts et les fruits de mer, accru leurs achats de marques maison et fréquenté davantage les Dollarama.

On pouvait s’en douter, mais les phénomènes ont été confirmés et chiffrés mardi par la firme NielsenIQ. Sa banque de données contient les ventes réelles, pour chaque aliment et autres produits de consommation courante comme le dentifrice, dans les supermarchés, les pharmacies, Costco, Walmart, Dollarama, Canadian Tire et Tigre Géant du pays.

Son bilan nous apprend que le plus grand gagnant de la chasse aux aubaines provoquée par l’inflation alimentaire est Dollarama. « C’est le réseau de magasins qui a attiré le plus de nouveaux consommateurs », précise Francis Parisien, vice-président principal des ventes pour les PME au Canada chez NielsenIQ.

Sa part de marché a augmenté de 2,1 points au Québec, ce qui n’est pas anodin. Plus de la moitié des Québécois fréquentent désormais l’enseigne québécoise.

Les ventes de nourriture y ont crû de 19 % par rapport à l’année précédente. Certaines catégories ont connu des bonds spectaculaires. C’est le cas des craquelins (+ 38 %), des collations salées (+ 31 %) et des bonbons (+ 19 %). Il faut dire que l’offre semble plus variée, plus alléchante qu’à une autre époque.

J’y ai même déniché, en décembre dernier, un Panettone confectionné en Italie fort satisfaisant. Je l’ai racheté plus cher deux semaines plus tard… dans une épicerie fine européenne.

Curieusement, Dollarama m’a affirmé que son offre alimentaire n’était pas en croissance, mais personne n’était disponible pour donner plus de détails sur la question.

Infidélités croissantes

Les autres chaînes qui misent sur les bas prix – Super C, Maxi, Walmart et Costco – ne sont pas en reste. Leur parts de marchés a bondi de 2,3 % depuis un an, ce qui est significatif dans ce monde où les changements se font lentement.

Avec l’inflation à des sommets, même les clients fidèles des supermarchés traditionnels comme IGA, Metro et Provigo ont commencé à changer leurs habitudes. De plus, un Québécois sur trois fréquente plusieurs magasins pour économiser. C’est dans ce contexte que Provigo justifie la transformation d’une partie de son réseau en Maxi.

Le contenu des paniers a bien sûr changé, lui aussi. Désormais, 17,5 % des produits qu’on achète affichent une marque privée ou maison. Il s’agit d’un gain annuel de 1,2 point. Ça semble peu, mais c’est suffisant pour que l’industrie parle de tendance.

On se prive aussi d’acheter certains aliments qu’on aime parce qu’ils coûtent trop cher. C’est le cas des desserts et des fruits de mer, dont les ventes (en unités) ont décliné de plus de 10 %. Mis à part la viande et la confiserie, toutes les autres catégories (légumes, pain, fromage, condiments, etc.) affichent aussi un recul.

En somme, le nombre de produits achetés en 2022 a reculé de 3 %, mais la facture des consommateurs a bondi de 5 %.

L’une des rares bonnes nouvelles pour les consommateurs, c’est que le nombre de rabais dans les supermarchés est en hausse depuis l’automne. Au cours de l’été, NielsenIQ avait observé une baisse significative des soldes, un phénomène que Francis Parisien n’avait pas vu depuis 2008.

Les choses sont presque revenues à la normale, a-t-il annoncé lors d’une conférence organisée par le Conseil de la transformation alimentaire du Québec.

Et l’épicerie en ligne, dans tout ça ?

C’est peut-être moins agréable qu’avant la pandémie de faire son Steinberg, comme on disait jadis, mais l’achat de nourriture sur l’internet demeure un phénomène très marginal au Québec.

Imaginez, seulement 1,7 % des ventes d’aliments et autres produits de consommation courante ont été réalisées sur le web, en 2022. C’est deux fois moins qu’ailleurs au pays, selon NielsenIQ, qui n’a pas fait d’études pour comprendre le phénomène. C’est sans doute en partie culturel, les Québécois ayant toujours eu une relation différente avec la nourriture. En Ontario, le taux s’établit à 4,3 %.

Les achats en ligne gagnent en popularité (+ 17 % par rapport à 2021), mais on est bien loin de l’engouement que certains prédisaient au début de la pandémie.

À ce moment-là, rappelez-vous, il était difficile de passer des commandes tellement la demande était forte et les délais de livraison étaient rébarbatifs.

La moitié de ceux qui font l’épicerie devant un écran croient que cela les aide à économiser. C’est bien possible, car on ne se laisse pas tenter par un solde en bout d’allée et des friandises près des caisses. Mais quand on aime manger et cuisiner, c’est beaucoup plus agréable de choisir soi-même ses poires et son rôti de palette, inflation ou pas.

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