Mode de scrutin et parts de gâteau

« Pourriez-vous nous expliquer simplement et clairement les enjeux autour du fameux débat sur le changement du mode de scrutin que Québec et Ottawa ont finalement mis de côté après en avoir fait une promesse électorale ? »

– Michel Laplante

Expliquer simplement et clairement ?

Permettez-nous alors, premièrement, de tenter une comparaison éloquente.

Imaginons que Justin Trudeau et François Legault ont chacun un gâteau au chocolat à partager et promettent de le faire de façon plus équitable.

Or, l’un et l’autre se rendent compte un jour que, s’ils révisent la taille des morceaux, leur propre part risque fort de rapetisser. Si bien qu’ils en viennent à craindre, eux et leurs collègues, de ne pas avoir assez de gâteau.

Oh, ils savent bien que ce nouveau partage serait plus juste !

Ils ont cependant beaucoup moins envie de remplir leur promesse…

« Chaque fois, il y a des députés et des conseillers politiques qui disent : “maintenant qu’on est au pouvoir, il ne faut pas mettre de l’avant un mode de scrutin qui risque de faire qu’on soit au pouvoir avec moins de pouvoir que ce qu’on a actuellement” », résume Jean-Pierre Charbonneau, président du Mouvement démocratie nouvelle.

Sur le fond, les premiers ministres et leur entourage ont raison de se méfier de l’impact, pour eux, d’un tel changement.

Que se serait-il passé par exemple lors des plus récentes élections fédérales si, disons, le mode de scrutin proportionnel plurinominal avait été instauré ?

Le créateur du site d’agrégation de sondages Qc125, Philippe J. Fournier, a rendu publiques ses estimations le mois dernier à ce sujet après avoir effectué une simulation. Résultat : les conservateurs auraient devancé les libéraux, avec 115 sièges contre 111, a prédit l’expert.

Il prend toutefois soin de préciser les limites d’un tel exercice. « Dans un tel système, les habitudes et tendances électorales changeraient beaucoup », nous a-t-il expliqué.

Rappelons que si Justin Trudeau a mis de côté son engagement et que le dossier semble clos (même s’il n’a pas entièrement fermé la porte) à Ottawa, ce n’est pas le cas au Québec (du moins pas encore).

La CAQ suit un chemin tortueux, mais elle continue d’aller de l’avant.

Plus lentement que prévu, par contre. Et bien sûr, sans garantie formelle que la réforme du mode de scrutin finira par être adoptée.

Le hic, c’est que l’étude du projet de loi à ce sujet – déposé à l’automne 2019 – a été paralysée.

Le mode de scrutin ne sera donc pas modifié à temps pour les prochaines élections provinciales, même si c’est ce que François Legault avait initialement promis.

En fait, le projet de loi à ce sujet pourrait même ne pas être adopté avant la fin de la session parlementaire.

Jean-Pierre Charbonneau s’en indigne.

Il pense cependant que les résultats des prochaines élections provinciales pourraient amener de l’eau au moulin de ceux qui réclament un changement de mode de scrutin de façon urgente.

« Quand on regarde la tendance actuelle des sondages, la CAQ pourrait se retrouver, à 45 % ou 46 % du vote, avec de 80 % à 85 % des députés à l’Assemblée nationale », prédit-il.

Une majorité de Québécois pourrait donc voter pour les rivaux de la CAQ, mais le parti de François Legault dominerait néanmoins de façon incontestable à Québec, « à peu près comme quand Robert Bourassa avait eu 102 députés [sur 110] ».

Permettez-nous de revenir à l’idée d’un gâteau à partager… mais cette fois entre les électeurs. Ils pourraient être nombreux, ceux qui n’auront pas voté pour la CAQ, à juger qu’il est particulièrement injuste de se retrouver avec une si petite part à l’issue de ces élections.

Assez pour relancer l’intérêt à l’égard d’une réforme du mode de scrutin et ramener cette initiative parmi les priorités du gouvernement, dans l’espoir d’avoir un Parlement véritablement représentatif ?

C’est à espérer…

Le casse-tête des émissions de l’achat en ligne

« Les consommateurs se tournent vers le magasinage en ligne. Sachant que les frais de transport facturés sont minimes et les retours, fréquents, quel est son impact global sur les GES en comparaison avec le magasinage traditionnel ? »

— Véronique Saint-Amour

Mme Saint-Amour,

Vous avez raison de dire que le commerce électronique est en plein essor. L’an dernier, avec la pandémie, il a augmenté de 70 % au Canada pour atteindre 4,7 milliards de dollars.

Quels sont les impacts environnementaux de cette transformation profonde de nos modes de consommation ? Décidément, les réponses simples n’existent pas, et votre question nous a obligé à éplucher de nombreuses études contradictoires.

De façon générale, les chercheurs ont étudié trois modes de magasinage. Le premier est l’achat purement en ligne, comme acheter un livre sur Amazon. Le deuxième est l’achat physique dans une boutique réelle en « briques et mortier », comme se rendre en librairie. Le troisième est la commande en ligne faite dans une boutique qui a pignon sur rue et qui vous livre le produit (par exemple, commander un livre d’une librairie) et que les chercheurs surnomment « briques et clics ».

La performance environnementale de chaque méthode dépend de nombreux facteurs. Parmi ceux-ci, il y a la façon dont les gens se rendent dans les boutiques « briques et mortier ». Y vont-ils à pied ? En voiture ? Combinent-ils leurs courses avec un autre trajet essentiel ? Les chercheurs ont noté que ces paramètres varient beaucoup selon la culture et les pays.

La disposition des entrepôts et l’optimisation des routes par les entreprises de commerce électronique sont aussi déterminantes dans les calculs.

En 2010, une étude publiée dans la revue Logistics and Transport Focus a conclu que l’achat en ligne avait le potentiel de devenir plus vert que l’achat en boutique grâce à la possibilité d’optimiser les trajets de livraison1. Mais en 2020, des chercheurs ont contesté cette conclusion dans une étude publiée dans Environmental Science & Technology2. Ils font remarquer que les consommateurs qui achètent en ligne commandent souvent un seul article à la fois, ce qui oblige à faire venir les produits de plusieurs entrepôts différents. Ceux qui se rendent en magasin tendent à acheter plus d’articles en une même séance.

Il faut ajouter à cela l’emballage et, comme vous le faites remarquer avec justesse, les retours. Selon certaines estimations, pas moins d’un vêtement sur trois acheté en ligne est retourné, ce qui multiplie les allers-retours et augmente donc les GES générés.

Étonnamment, la dernière étude citée conclut que la façon la plus écologique de magasiner serait la méthode « briques et clics » – donc de vous faire livrer un livre à domicile par une librairie. Cela est principalement dû au fait que les boutiques physiques sont situées plus près des consommateurs que les entrepôts de géants comme Amazon, et que les commerçants livrent souvent plusieurs commandes à la fois.

Il faut finalement souligner que les géants du commerce en ligne réagissent. Amazon, par exemple, a acheté pas moins de 100 000 véhicules électriques en 2019 afin d’abaisser ses émissions. L’utilisation de vélos-cargos pour couvrir le « dernier kilomètre » est aussi en plein essor dans plusieurs régions du monde.

Bref, il est loin d’être simple de s’y retrouver. Mais on peut dire sans se tromper que faire ses courses à pied, à vélo ou en transports en commun est un choix sûr pour minimiser les gaz à effet de serre produits par ses achats.

Chéri, j’ai réduit ta rente

« Avez-vous évalué l’effet de l’inflation sur les revenus de retraite qui ne sont pas indexés ou le sont d’un maximum de 3 %, seulement un an plus tard ? »

– Hughes Roy

N’ajustez pas votre appareil. Comme dans le film Chéri, j’ai réduit les enfants, bien des retraités vont voir leur rente diminuer à cause de l’inflation qui vient de se réveiller. En effet, l’indice des prix à la consommation a grimpé de 4,4 % au Canada et même de 5,1 % au Québec en septembre. Du jamais vu en 30 ans.

Si sa rente n’est pas indexée du tout, un travailleur qui a pris sa retraite à 60 ans aura perdu le quart de son pouvoir d’achat rendu à 75 ans et la moitié rendu à 95 ans, dans la mesure où l’inflation se situe à 2 % en moyenne, soit la cible de la Banque du Canada.

À la longue, ça fait donc une énorme différence, même si l’inflation est modérée.

Dans le secteur privé, certains travailleurs ont la chance d’avoir une rente qui est pleinement indexée, ce qui les protège contre l’inflation. Mais bien d’autres n’ont droit qu’à un ajustement partiel ou à… aucune indexation du tout.

Chez les nombreux fonctionnaires couverts par le RRGOP, par exemple, différentes formules se superposent.

Pour les années accumulées avant 1982, la rente est indexée au complet. On a ensuite changé la formule qui coûtait très cher, car l’inflation dépassait 10 % à cette époque.

Pour les années suivantes, les retraités ont droit à l’inflation moins 3 %. Sauf qu’à partir du début des années 1990, comme l’inflation ne dépassait jamais 3 %, l’indexation était nulle.

À partir de 2000, la formule a donc encore changé. Pour les années accumulées par la suite, le régime offre la moitié du taux d’inflation (ou l’inflation moins 3 % si cette méthode est plus avantageuse).

Au bout du compte, les retraités ne sont donc pas entièrement protégés contre l’augmentation du coût de la vie.

Par contre, le Régime des rentes du Québec (RRQ) offre une rente qui est pleinement indexée, un atout qui a une grande valeur. Les rentes augmentent en janvier, en fonction de l’inflation de l’année précédente, mesurée à la fin d’octobre.

Vous avez donc raison de dire, M. Roy, qu’il y a un décalage entre la hausse des prix et celle des rentes. De plus, il faut souligner que le RRQ utilise le taux d’inflation du Canada et non celui du Québec, ce qui sera probablement moins payant cette année. Mais l’inverse pourrait aussi être vrai.

Pour atténuer les effets du risque d’inflation, les futurs retraités peuvent songer à reporter leur rente, suggère Retraite Québec. Chaque mois de report permet de bonifier la rente pour le restant de la vie.

Notez aussi que, dans son minibudget prévu le 25 novembre, le ministre des Finances Eric Girard devrait donner un coup de pouce aux Québécois qui sont frappés par la hausse du coût de la vie.

Alors, restez à l’écoute.

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