Développement

Quel avenir pour le bassin Peel ?

Maintenant que le projet de stade de baseball de Stephen Bronfman est mort et enterré, que deviendra le bassin Peel ? En dévoilant prochainement sa vision d’aménagement pour le secteur, la Ville tranchera entre deux positions diamétralement opposées en matière d’aménagement du territoire.

Dans le coin gauche, le groupe Action-Gardien de Pointe-Saint-Charles propose l’aménagement d’un quartier dense à échelle humaine destiné aux logements communautaires et sociaux sur les terrains de près de 80 000 mètres carrés appartenant à la Société immobilière du Canada (SIC), une société de la Couronne.

L’idée est d’utiliser un terrain appartenant au gouvernement fédéral pour offrir du logement aux démunis au moment où la valeur des terrains est plus élevée que jamais et où il manque de logements sociaux.

Les bâtiments résidentiels compteront majoritairement trois ou quatre étages, et pas plus de huit, pour un maximum de « 1000 logements sociaux et communautaires sur les terrains fédéraux, pour un milieu de vie entièrement retiré du marché spéculatif », lit-on sur le site web de l’organisme. Les commerces, services et équipements collectifs ne dépasseront pas quatre étages. Le groupe propose de transformer le bâtiment administratif de Loto-Québec en école.

Action-Gardien a pris note de la récente décision du baseball majeur.

« Un stade de baseball n’est pas acceptable sur des terrains publics. Il était grand temps de fermer définitivement la porte à cette lubie portée par de milliardaires investisseurs. »

– Extrait du fil de nouvelle du groupe Action-Gardien de Pointe-Saint-Charles

Créer de la richesse

Dans le coin droit, le promoteur Devimco propose d’utiliser le potentiel du site pour créer de la richesse. Il propose la construction de 4000 à 5000 logements, dans des tours pouvant atteindre 20 étages, un pôle d’emplois de 600 entreprises dans le domaine des technologies propres, tout en réservant des terrains pour des services publics comme une école. Devimco contrôle environ 30 % des terrains du côté sud du bassin Peel.

Dans un entretien, le président de Devimco, Serge Goulet, s’est dit déçu de la tournure des évènements. « La Ville annoncera bientôt sa vision de développement. Mais si son idée correspond à ce qu’on entend autour de la table de concertation, c’est très décevant. On s’oriente vers une densification du territoire plus faible qu’en banlieue. »

« Au moment où les gens désertent Montréal, nous avons la chance de relancer le développement économique avec un campus de haute technologie, mais les gens ne semblent pas intéressés. »

– Serge Goulet, président de Devimco

Devimco indique qu’il fera une dernière tentative en présentant un nouveau projet, en mai. Si cela ne satisfait pas la Ville de Montréal, le promoteur se contentera de louer les terrains qu’il détient dans le secteur à des fins industrielles, selon le zonage en place. Il vient de signer un bail à long terme avec Ray-Mont Logistiques.

Le regard d’experts

En attendant de connaître la position de la Ville, La Presse a demandé à trois experts de l’aménagement du territoire à quoi devrait ressembler le bassin Peel à l’avenir.

Selon Danielle Pilette, professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, il n’est pas opportun que le projet soit entièrement consacré aux habitations à loyer modique.

« L’esprit est d’avoir une mixité sociale », dit-elle. Avec le règlement 20-20-20 sur la mixité, peu importe le promoteur, il devra obligatoirement livrer des logements sociaux et abordables, selon elle. « En raison de contraintes financières comme la décontamination du terrain, le reste du projet va être relativement cher. »

D’après Mme Pilette, la Ville de Montréal devra tenir compte de la concurrence de ce qui se construit autour des gares du Réseau express métropolitain (REM) à Brossard.

« Le bassin Peel doit reprendre, probablement en plus dense et de meilleure qualité, ce qu’on trouve à Brossard. »

– Danielle Pilette

Sur la question de la densité, elle insiste sur la préservation des percées visuelles sur le centre-ville et le mont Royal. « Je ne vois certainement pas 25 étages au bassin Peel », précise la professeure.

Mme Pilette doute toutefois de la construction d’une station du REM au sud du canal de Lachine en l’absence de stade et ne croit pas que la Ville deviendra propriétaire du terrain de la SIC même si elle dispose d’un droit de préemption.

Opinion contraire chez Christian Savard, directeur général de l’organisme Vivre en ville. « Dans un monde idéal, c’est la Ville qui détient le terrain. Elle fait ensuite le plan directeur. Elle le subdivise. Elle garde des lots pour le social et distribue les autres lots entre différents prometteurs et différentes tenures », explique-t-il au téléphone.

Selon lui, le modèle du promoteur unique qui achète un grand terrain et qui aménage lui-même un quartier au complet n’est plus l’approche à privilégier.

D’après M. Savard, la présence d’une station du REM au sud du canal de Lachine est souhaitable pour désenclaver ce quartier à fort potentiel. « Pour justifier cette éventuelle gare, il faudra toutefois accepter une certaine densité autour de la gare », reconnaît-il.

« Le bassin Peel est un secteur à relativement haute densité », soutient, de son côté, le professeur Jean-Philippe Meloche.

« Je n’y ferais pas des bâtiments de trois ou quatre étages. Si on fait du logement social, il est important de maximiser les ressources ; sinon, on gaspille le terrain et on aide moins de gens à se loger à bon prix. »

– Jean-Philippe Meloche

Il prône lui aussi une mixité sociale sur le site. « On ne veut pas un parc de logements sociaux. Généralement, ça stigmatise et ce ne sont pas les projets les mieux réussis », dit celui qui enseigne à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal.

Comme exemple récent d’aménagement urbain efficace qui n’a pas traîné en longueur, M. Meloche cite le Campus MIL, dans le quartier Mile-Ex, où l’Université de Montréal a aménagé son second campus.

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