La princesse du rythme

Sortir Guylaine Guy de l’ombre

Au terme d’une quête de six ans qui l’a menée des archives de Radio-Canada à Trouville-sur-Mer en Normandie, la journaliste Catherine Genest offre La princesse du rythme, un roman biographique qui raconte la vie fascinante – et largement méconnue – de la chanteuse Guylaine Guy.

Nous rencontrons Catherine Genest au Café Holt, situé dans le chic magasin Holt Renfrew-Ogilvy, afin de discuter de son premier roman et de la genèse de cette folle aventure dans laquelle elle s’est embarquée il y a six ans, armée de la volonté de mettre en lumière le destin hors de l’ordinaire de Guylaine Guy.

Pourquoi ce lieu précis ? Car Guylaine Guy, de son vrai nom Guylaine Chailler, a travaillé à l’époque chez Ogilvy, avant de connaître, dans les années 1950, le succès sur les scènes de Broadway, de Paris, de Montréal et d’un peu partout dans le monde.

Son nom vous est inconnu ? Vous n’êtes pas la seule personne dans ce cas. Aujourd’hui, la plupart des gens ont tout oublié de cette Montréalaise qui s’est produite sur les scènes les plus mythiques et a chanté avec les plus grands de son époque, de Charles Trenet, dont elle fut la muse, à Louis Armstrong, qui l’avait surnommée « la princesse du rythme », le titre de ce roman biographique passionnant.

« Personne ne la connaît ! », constate Catherine Genest. La journaliste qu’on a pu lire dans les pages du Voir et qui est collaboratrice à l’émission Culture Club sur les ondes d’ICI Première l’a elle-même constaté lorsqu’elle a eu accès aux archives de Radio-Canada pour ses recherches.

« Les filles aux archives doutaient que je trouve quoi que ce soit, mais quand je me suis mise à fouiller dans la base de données, c’est sorti par centaines ! Elles-mêmes n’en revenaient pas de ne pas la connaître, alors qu’elle a tellement laissé une trace dans les archives », raconte celle qui est depuis peu cheffe de pupitre numérique chez Nouveau Projet.

Une histoire de famille

Si Catherine Genest connaissait, elle, l’existence de Guylaine Guy, c’est que son grand-père Henri, agriculteur, était le cousin germain de cette dernière. Sa mère, une Chailler, comme Guylaine, a elle aussi été chanteuse dans les pianos-bars de Québec à une époque.

Souvent, on la comparait à Colette Chailler, dite Colette Bonheur, la sœur de Guylaine, qui s’est fait connaître en chantant dans les cabarets de Montréal et dans des émissions de variétés à Radio-Canada. Les deux étaient les filles de Léontine Laurendeau, connue sous le nom de scène de Lise Bonheur.

Colette Bonheur est morte en 1966 dans les Bahamas dans des circonstances troubles ; son mari a même été accusé à l’époque d’homicide involontaire, avant d’être acquitté. Ce destin tragique et mystérieux a intrigué la journaliste, qui voulait au départ écrire un livre sur Colette Bonheur.

Mais une visite, en 2016, à Trouville-sur-Mer, où Guylaine Guy habite depuis nombre d’années avec son mari, l’avocat Charles Libman (aujourd’hui disparu), lui a fait réaliser que le vrai sujet de son livre, celle qui « avait vécu comme dans un roman », c’était cette femme au franc-parler, très charismatique, qui a défoncé toutes les portes dans le monde du music-hall de l’après-guerre, avant de se retirer abruptement du métier, dans les années 1970.

« Après l’avoir rencontrée une première journée, je me suis dit “Mon Dieu, je n’écris pas le livre sur la bonne personne !”. Toute sa vie, son passage à Broadway, tous les gens qu’elle a connus, les villes et pays qu’elle a visités, ses tournées en France avec Charles Aznavour… J’ai changé mon fusil d’épaule rapidement !  »

– Catherine Genest

Retrouver les traces

Âgée de 92 ans, Guylaine Guy souffre d’une forme avancée d’alzheimer et vit aujourd’hui dans une résidence pour personnes âgées dans la commune de Deauville, en Normandie. Si, lors de sa visite initiale de 2016, l’ancienne chanteuse avait encore des bribes de sa vie à lui confier, en 2019, tout ce qui lui restait, c’était le souvenir d’une de ses chansons.

Mais c’est lors de cette seconde visite que Catherine Genest a eu la surprise de tomber sur Danielle Dumont-Frenette, nièce de Guylaine Guy qu’elle avait cherchée, en vain, depuis des années. Une rencontre cruciale pour l’avancement de son roman, puisque cette dernière a notamment fait cadeau à la journaliste de photos d’archives, dont celle qui orne la couverture du livre.

Voulant retrouver les traces de cette vie hors du commun, mais aussi pleine de paradoxes, la journaliste est allée à la rencontre de ceux, peu nombreux, encore là pour témoigner de sa vie, dont feu Raymond Lévesque – qui avait demandé la main de Colette Bonheur – Dominique Michel et Jacques Boulanger.

Elle a ainsi refait, peu à peu, les grandes lignes de cette destinée mirobolante, qu’elle a choisi de raconter au « je » dans un roman biographique. « Oui, il y a quelques parties romancées, mais tout est basé sur des faits. »

« En tant que journaliste, c’était libérateur de parler à travers elle, d’aborder certains sujets importants à mes yeux, comme les travers de l’industrie de la musique, les rapports de force malsains, les relations abusives. »

– Catherine Genest

Car en racontant le destin de Guylaine Guy, c’est toute une époque que Catherine Genest met en lumière. Une période où les femmes servaient bien souvent de faire-valoir et devaient se taire, un rôle que la chanteuse, qui n’avait pas la langue dans sa poche, a toujours refusé.

Pourquoi a-t-on oublié Guylaine Guy aujourd’hui ? Peut-être parce que sa carrière s’est terminée abruptement ? Loin des feux de la rampe, elle s’est ensuite consacrée à la peinture et à la sculpture. Ou peut-être parce qu’elle s’est exilée en France, loin de son Québec natal ? Peut-être par effet de mode, car ses chansons n’ont pas toutes bien résisté à l’épreuve du temps ? Mais peut-être, tout simplement, parce qu’elle était une femme ?

« C’est sans doute un peu simpliste de le dire comme ça, mais je pense que si un homme avait fait tout ce qu’elle a fait – elle a quand même chanté avec Louis Armstrong, fait des tournées au Brésil, en Turquie ! –, on s’en souviendrait. C’était vraiment une pionnière, elle mérite d’être reconnue à sa juste valeur. »


La princesse du rythme

Catherine Genest

Boréal

319 pages


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