Gourmand Chronique

Manger (bien !) pour trois fois moins

Lorsque j’arrive au Jardin de la Pépinière – magnifique espace public du quartier Hochelaga-Maisonneuve –, Audrey Tessier est en train de répartir une trâlée de patates grelots dans de grands paniers. Elle me tend une main gantée en m’avouant que les rencontres formelles la rendent un peu nerveuse...

Je la rassure : on peut me reprocher beaucoup de choses, mais « être trop formelle » n’a jamais été un problème.

Elle remarque que je jette un œil aux denrées posées derrière elle.

« La récolte a été particulièrement bonne, ce matin. J’ai hâte que les clients arrivent, ils vont capoter ! »

La femme de 33 ans a fondé l’entreprise Panier B en juin dernier. Ses clients sont des parents – surtout des mères –, des étudiants, des sportifs, des gens qui aiment bien manger et qui, comme à peu près tout le monde, font présentement face à l’inflation. Cet après-midi, ils viendront ramasser le panier qu’ils ont précommandé il y a 48 heures.

Les produits offerts varient de semaine en semaine, mais une constante demeure : ils sont majoritairement bios et, surtout, ils sont vendus au rabais parce qu’ils ne correspondent pas aux standards des épiceries.

J’ai beau scruter les patates grelots, la laitue, les champignons, les mangues, les cantaloups, les carottes et les prunes, je ne vois aucune différence entre ce qui se trouvera dans les paniers et ce que j’achète à prix courant. Les tomates que j’ai sous les yeux sont un peu poquées, c’est vrai, mais ce n’est vraiment rien de grave. Et les choux-fleurs, eux, sont d’un blanc quasi aveuglant. Parfaits.

Qu’ils aient choisi le panier à 30 $ ou celui à 45 $, les clients recevront tous ces fruits et légumes, en plus d’un litre de crème d’avoine. Puis, ils auront des choix à faire. Devant moi sont posés jus, purées, barres protéinées, fudges, couscous, croustilles et farine de coco. En fonction du montant déboursé, chacun pourra aussi repartir avec une ou plusieurs unités de chaque produit.

On parle de paniers qui vaudraient entre 80 $ et 120 $, s’ils étaient trouvés en épicerie, estime Audrey Tessier.

Je vérifie les dates d’expiration et les indications « meilleur avant »... Rien n’est périmé ni même près de la date limite de fraîcheur garantie. Je ne comprends pas ! D’où ça vient, tout ça ?

De distributeurs de fruits, légumes et produits naturels, répond l’entrepreneure avant de m’expliquer le commencement de son aventure.

Après des études en communication et un détour du côté de l’enseignement, Audrey Tessier a été engagée dans une épicerie d’aliments naturels. C’était le début d’une passion fulgurante pour l’alimentation. Elle sera commis, puis acheteuse, gérante, directrice des ventes et représentante. Elle fondera même une première entreprise : Zen.

À l’époque où elle produisait des bouchées d’amande, il y a huit ans, Audrey Tessier partageait son local avec d’autres « jeunes entrepreneurs un peu paumés ». Un jour, ils lui ont offert une barquette de fraises biologiques.

Audrey s’est étonnée. Ça devait leur avoir coûté cher, non ?

« T’en fais pas, c’est de la qualité B ! »

C’est ainsi qu’elle a appris que les distributeurs d’aliments doivent régulièrement se départir de produits qui sont pourtant toujours bons à la consommation. Ces aliments sont classés B à cause de leur look, d’un problème d’emballage ou parce qu’il y en a un pourri dans le lot, par exemple...

Quelques jours plus tard, elle débarquait chez un distributeur et en ressortait avec assez de fruits et légumes pour remplir sa voiture. Comme c’était beaucoup trop pour une seule femme, elle a suggéré à une dizaine d’amis de partager les denrées qu’elle venait d’acheter pour presque rien...

La tradition a duré des années ! Et, oui, vous pouvez absolument vous en inspirer.

« Mais, si tu reviens chez vous avec 50 lb de carottes, t’es ben mieux de trouver des amis pour les splitter », prévient Audrey Tessier.

Elle a finalement transformé cette activité en entreprise de « paniers nomades ».

Chaque mardi, elle attend les clients de Panier B au Jardin de la Pépinière. Le vendredi, elle se pose plutôt au Frigo des Élans, une banque alimentaire dans l’est de Montréal dont elle profite du local en échange d’heures de bénévolat.

Pour l’instant, Panier B attire entre 30 et 50 clients par semaine, ce qui se traduit en une demi-tonne de fruits et légumes sauvés hebdomadairement. Audrey Tessier aimerait éventuellement augmenter ce chiffre en se posant dans d’autres quartiers de l’île.

Parallèlement, elle offre du service aux entreprises. Demain, elle ira dégoter 200 caisses de poivrons de qualité B, à la demande d’une entreprise du coin qui veut les transformer en sauce et lutter contre le gaspillage alimentaire.

D’ailleurs, parlons-en ! J’ai l’impression qu’on associe souvent la lutte contre le gaspillage aux gens qui manquent de moyens. Qu’on se retient parfois de souscrire à des projets tels que Panier B en se disant qu’il y a toujours du monde qui a davantage besoin d’aliments à bas prix que nous...

Audrey Tessier confirme que je ne suis pas entièrement dans le champ : « C’est une mentalité sur laquelle il faut travailler ! Il faut se dire qu’il y a de l’abondance et se donner le droit d’en profiter. »

Pour elle, c’est là que tout prend son sens. Avec les aliments qu’elle propose – naturels, souvent bios et sans allergène –, elle lutte contre le gaspillage, mais elle espère aussi nourrir les autres avec soin.

À une époque où le coût de la vie et la crise climatique marchent main dans la main dans le sentier de notre anxiété, c’est non négligeable.

Et l’avenir de Panier B ?

« Je veux juste que mon entreprise grandisse organiquement en respectant ses valeurs. Ma business, c’est la lutte contre le gaspillage alimentaire. Je ne veux pas acheter des aliments de “meilleure qualité” pour faire plaisir aux gens. Et je souhaite être capable de toujours connaître mes clients par leur nom... Grandir avec une communauté, pas juste une clientèle. »

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