Dans le ventre du Zemmour…

Cellules fantômes, racisme, stratégies numériques douteuses… le journaliste Vincent Bresson a infiltré pendant trois mois l’équipe de campagne du candidat d’extrême droite à la présidentielle.

Paris — Il est d’accord pour la photo, mais pas à l’extérieur. On n’est jamais trop prudent. Depuis que son livre Au cœur du Z a été lancé il y a deux semaines, Vincent Bresson craint des représailles de la part des partisans d’Éric Zemmour. Alors il fait attention.

« J’ai éteint mon téléphone, bloqué ma page Facebook », souligne-t-il, l’air presque inquiet.

De fin septembre à début janvier, ce jeune journaliste de 27 ans a infiltré l’équipe du candidat à la présidentielle française Éric Zemmour afin de raconter la campagne électorale de l’intérieur et de mieux comprendre ce phénomène politico-médiatique.

Intégré à la « Génération Z » (la branche jeune du mouvement), il a pris part à de multiples actions de propagande sur le terrain et sur la Toile, été gardien de nuit au QG de la formation, participé à des réunions, des soirées et des rencontres stratégiques.

Bref, il a été « au cœur du réacteur », pour reprendre ses propres mots.

Son bouquin a déjà eu de l’influence : il a mené au bannissement de sept contributeurs sur Wikipédia, en raison de ses révélations sur les stratégies numériques douteuses de Génération Z.

Il faut savoir que la campagne zemmourienne se base en grande partie sur les réseaux sociaux. Le nouveau nerf de la guerre, direz-vous, et pas seulement chez Zemmour.

Sauf qu’ici, il semble que les méthodes employées ne soient pas toujours très cachères, en tout respect des racines juives de l’ancien chroniqueur devenu candidat.

Popularité artificielle

Ce que Vincent Bresson a découvert, c’est que l’équipe de Génération Z a créé des brigades secrètes visant à susciter un buzz artificiel sur Zemmour sur le net.

Ces soldats de l’ombre ont, par exemple, investi un maximum de groupes Facebook n’ayant rien à voir avec Zemmour (les Amis de Johnny Hallyday, les Amis de Mylène Farmer, les Gilets jaunes, la France insoumise, etc.) pour les inonder de contenu zemmourien, afin de susciter de la réaction et de faire mousser le nom de leur candidat dans les « top tendances ».

« L’idée, c’est qu’il y ait de l’activité, pour faire croire à la spontanéité du mouvement, que les gens parlent spontanément d’Éric Zemmour sur les réseaux sociaux. Alors que tout cela est en réalité coordonné. »

— Vincent Bresson, journaliste infiltrateur

Une cellule baptisée « Wikizédia » s’est aussi chargée de « zemmouriser » un maximum de pages Wikipédia, reliées de près ou de loin au politicien. But du jeu : dédiaboliser le personnage en aplanissant sa radicalité, ses propos parfois controversés et les commentaires plus critiques à son endroit.

Wikipédia est techniquement protégée contre ce genre de guérilla. Mais l’équipe de Génération Z compte l’un des gros contributeurs francophones de l’encyclopédie en ligne, un certain « Cheep ». En raison de ses nombreuses collaborations, qui lui ont valu le statut privilégié d’« autopatroller » (certifié, donc moins sujet à contrôles), ce militant a pu modifier des entrées en douce sans être inquiété… jusqu’à ce que Vincent Bresson évente le stratagème avec son bouquin.

La semaine dernière, « Cheep » et six autres disciples de Zemmour ont été bannis de Wikipédia pour avoir enfreint les règles éthiques de la plateforme. « Comme m’a expliqué un administrateur de Wikipédia, c’est la première fois dans une présidentielle qu’on voit ce genre de cellule fantôme », souligne le journaliste.

Sauver la France

Ce qui étonne, c’est aussi la facilité avec laquelle Vincent Bresson a pu entrer dans le ventre du dragon. Personne n’a contrôlé son identité, on lui a même remis les clés du local de campagne, où le bureau d’Éric Zemmour était fréquemment grand ouvert.

« Il y a une part d’amateurisme sur le côté sécurité que je n’avais pas envisagée », admet-il.

Il faut dire que Vincent Bresson avait le bon profil, et il en est conscient. Jeune, blanc, un nom bien français, l’air bien straight, il cadrait parfaitement avec les militants de Génération Z, pour la plupart issus de la mouvance de la droite catholique.

Intégré à 100 % dans l’équipe, il a entendu des commentaires racistes, mais s’est aussi intégré à une équipe de jeunes bénévoles enthousiastes, souvent sympathiques, qu’il s’évite de juger, bien qu’il ne partage pas leurs convictions.

Pourquoi ces jeunes adultes ont-ils rejoint un candidat avec une vision aussi frelatée de la France, qui invoque tant Jeanne d’Arc que le bon vieux camembert ?

Par conservatisme bien sûr, par romantisme aussi, parce qu’ils ont grandi avec ce chroniqueur télé bien connu, qu’ils surnomment familièrement « le Z ». Et parce qu’ils se sentent, tout comme lui, investis d’une mission de « sauver la France », contre la gauche et l’immigration.

« Une grande partie de ceux que j’ai rencontrés me parlaient du grand remplacement non pas comme d’une théorie conspirationniste. Ils sont persuadés que c’est une chose qui est en train d’arriver. »

— Vincent Bresson

Vincent Bresson a quitté Génération Z début janvier afin de se consacrer à la rédaction de son livre. Il suit maintenant la campagne de Zemmour de loin, et constate que le controversé candidat a bien réussi sa mue de journaliste à politique. Selon lui, tous les scénarios semblent aujourd’hui possibles, y compris que « le Z » passe au second tour, au nez et à la barbe de la droitière Valérie Pécresse ou de sa rivale à l’extrême droite Marine Le Pen.

« Je n’y croyais pas au début, mais oui, je pense qu’il a une chance », conclut le journaliste.

Encore faut-il que Zemmour réunisse avant vendredi les 500 parrainages nécessaires à sa candidature officielle. Au moment où l’on écrivait ces lignes, « le Z » n’en était toujours qu’à 415 signatures. Certains lui prédisent une semaine compliquée, en raison de ses commentaires complaisants dans le passé à l’endroit de Vladimir Poutine.

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, Éric Zemmour s’est fermement distancié du maître du Kremlin, une volte-face peu crédible aux yeux de ses adversaires.

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