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Grève des ingénieurs de l’État

Des enjeux bien au-delà de la profession

Les ingénieurs de l’État du Québec ont déclenché une grève le 22 avril dernier en vue de renouveler une convention collective échue depuis avril 2020. Un ingénieur dans la fonction publique débute avec un salaire annuel de 42 900 $ par année. Il peut espérer une rémunération maximale annuelle de 94 078 $ en carrière. Globalement, les salaires offerts n’incitent pas les jeunes ingénieurs à choisir la fonction publique. De plus, une fois embauchés, bon nombre d’entre eux n’y restent pas. Cette structure salariale est l’enjeu principal de la grève précitée.

Les 1500 ingénieurs en cause sont répartis dans 14 ministères, mais plus des trois quarts d’entre eux œuvrent au Transport (68 %) et à l’Environnement (17 %). Le Rapport d’un comité paritaire déposé en 2019, sous la présidence de l’ex-juge de la Cour d’appel PA Gendreau, précise que « l’intervention des ingénieurs est… essentielle dans tous les secteurs du génie pour la conception et la réalisation d’ouvrages, pour l’élaboration et l’application de normes qui assurent la sécurité et la protection du public et l’intégrité des actifs de l’État ». Le rapport précité recommandait entre autres que les ingénieurs soient impliqués dans toutes les phases de la réalisation des projets confiés par l’État au secteur privé, ce qui n’est actuellement pas le cas.

Contrairement à d’autres catégories professionnelles, les ingénieurs n’occupent pas de rôles dominants dans les instances politiques québécoises. En relations de travail, cela n’est pas sans effet. Par exemple, le Dr Gaétan Barrette, antérieurement président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, devenu ministre de la Santé, a réglé les conditions de travail des médecins du Québec jusqu’en 2026. L’avocate Sonia LeBel, devenue récemment présidente du Conseil du trésor, vient de conclure une entente de principe qui règle un désaccord persistant avec l’Association des avocats et notaires de l’État du Québec.

C’est comme si l’appartenance corporatiste mutuelle, entre syndicalistes et dirigeants dans la fonction publique, avait l’effet d’une baguette magique incitant les parties à s’entendre.

En cela, les ingénieurs de l’État du Québec restent sur le carreau faute d’un ingénieur influent susceptible de les soutenir sur le plan politique.

Au fond, ce qui précède est décevant pour les catégories d’emplois qui sont exclues des ententes ou des bonis attribués ici et là. En effet, tous les groupes de salariés de la fonction publique doivent pouvoir compter sur l’impartialité de leur gouvernement, à l’image d’un bon parent à l’endroit de ses enfants. L’équité distributive, entre les divers corps d’emploi de la fonction publique, sera probablement un enjeu incontournable lors de la prochaine ronde de négociation entre le récent front commun syndical et le gouvernement québécois.

Que l’État se prive d’ingénieurs ou refuse d’utiliser tout leur potentiel ne va pas sans conséquence. Plus de 400 ponts seraient en situation de décrépitude. Que les contrats soient octroyés au secteur privé va de soi, car des ingénieurs compétents s’y trouvent. Toutefois, lorsqu’il s’agit de choisir entre réparer une structure et la refaire en entier, certains sous-traitants peuvent être enclins à valoriser l’option leur procurant un contrat plus généreux. C’est là que les ingénieurs de l’État peuvent faire une différence sur le plan des coûts. Ils choisiront peut-être de réparer une structure au lieu de la remplacer. Mais cela ne se fait pas, car le contrôle étatique des travaux confiés aux entrepreneurs est insuffisant.

Par surcroît, les ingénieurs de l’État n’auraient pas accès aux moyens techniques d’usage pour intervenir sur les projets en cours.

Dans l’ensemble, le Québec ne valorise pas suffisamment son génie. Ainsi, des ingénieurs deviennent parfois victimes de situations déplorables. Par exemple, le rapport de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction présidée par la juge France Charbonneau, rendu public en 2015, dénonçait à bon droit, un contexte de corruption. Des ingénieurs se retrouvaient victimes d’élites municipales corrompues et d’entrepreneurs mafieux. L’image d’une partie de notre génie fut ainsi endommagée. Finalement, la solitude historique entre les ingénieurs de l’État et le politique a eu, avec le temps, comme conséquence de distancer les Québécois du génie.

Les ingénieurs de l’État peuvent être mieux reconnus. Dès lors, les acteurs sociaux doivent s’adonner à une négociation basée sur leurs intérêts communs et la résolution de problèmes. Quant à l’entente de principe intervenue le 13 février 2022 entre le Conseil du trésor et l’Association des avocats et des notaires de l’État, elle pourrait peut-être servir de voie de sortie pour régler le conflit de travail entre le gouvernement du Québec et ses ingénieurs. Dans tous les cas, le politique doit agir de telle sorte que le génie devienne davantage une source d’inspiration, spécialement pour les jeunes Québécois. L’avenir technologique du Québec en dépend.

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